Marie-Pierre, Marion et César Troisgros : scène de famille en cuisine

Passer du temps dans l’intimité des Troisgros, c’est se retrouver propulsé dans une série américaine à mi-chemin entre 7 à la maison et Le Prince de Bel Air tournée en rase campagne de Roanne. Pourtant vue de l’extérieur, la famille a tout d’un clan sérieux qui charbonne, une maison ou chaque membre tient son rôle pour pérenniser une histoire familiale qui remonte aux années 30. Il ne faudra pas gratter le vernis bien longtemps pour s’apercevoir que la famille Troisgros en coulisses, c’est une pièce de théâtre dynamique, des vannes qui fusent et beaucoup de tendresse.

«Qui veut du café ?» Il est bientôt 8h et Marie-Pierre, maîtresse de maison, épouse du chef Michel Troisgros et mère de Marion, César et Léo, nous raconte qu’elle cuisine beaucoup: «Mais je dirais plutôt que je fais la popotte, à peine mariée, je menaçais de ne plus jamais cuisiner au moindre commentaire péjoratif. Donc ils n’ont jamais rien dit !» Marie-Pierre, c’est celle qui arbore le plus large sourire sur les portraits de famille. Autre signe distinctif? De l’élégance et un humour décapant du genre pince-sans-rire particulièrement savoureux. Marion est l’aînée, la seule à ne pas avoir décidé de se lancer en cuisine. En y repensant, elle aurait bien aimé faire carrière dans le vin. Au lieu de ça, cette amoureuse de la nature et des chevaux a lancé son centre équestre, qui hélas n’a pas résisté à l’épreuve de la crise sanitaire de 2020. Elle fait partie aujourd’hui de l’équipe de direction aux côtés de Marie-Pierre. Dans notre sitcom, César le cadet incarne une force tranquille et surtout la relève de Michel, le père. Il est celui qui reprendra un jour les rênes de la maison Troisgros. Cette dernière se trouve à quelques kilomètres de son frère Léo, chef de la Colline du Colombier à Iguerande. À peine arrivé chez ses parents, le chef grimpe sur le plan de travail pour ajuster une ampoule capricieuse puis démarre sa mise en place. «Marion, tu épluches les pommes de terre et tu les coupes à la mandoline? Comme ça, ça va plus vite…» Marion rétorque qu’elle a peur de mal faire et au passage de perdre une phalange. «C’est pas grave, fais-le à ta façon et pense à garder les épluchures pour les poules! Tiens, on n’en a pas parlé hier soir mais elles mangent pas mal de trucs au resto! Maintenant à Ouches, on a des poules, des chevaux et on aimerait bien des cochons mais on a peur du bordel! Un cochon ça te fout le pré en l’air, ça bouffe tout et ça fait des trous partout !» Cette question est au cœur des préoccupations de César, engagé pour la biodiversité et ambassadeur de Food for Change, un partenariat entre Relais & Châteaux et Slow Food. Autour de l’ancien manoir où s’est installé le restaurant familial en 2017 se déploient 17 hectares de forêts de chênes, un étang, des bosquets, des prairies et un potager qui donne le ton à la cuisine au fil des saisons.

En cuisine, Marion s’affaire à découper les fines tranches de pommes de terre et réalise qu’elle s’en sort plutôt bien. César commente: «Tiens, c’est pas mal… C’est même mieux que moi. Tu dois avoir un meilleur couteau!» César ne se souvient plus trop d’où viennent les pommes paillasson. «Je pense que c’est une spécialité qu’on trouve dans beaucoup de régions avec des variantes et des appellations différentes, le rösti suisse, la crique stéphanoise, la crique ardéchoise… Dans ma version, je dépose du lard sur la galette encore chaude. J’en fais souvent, mon père et papy en faisaient aussi!» Papy, c’est Pierre Troisgros, celui qui avec son frère Jean avait créé la fameuse Escalope de saumon à l’oseille. C’est au début des années 60 que le père de Pierre et Jean, Jean-Baptiste Troisgros, sommelier et fondateur de la maison originelle à Roanne, leur demanda de réfléchir à une nouvelle cuisine qui leur permettrait de s’affranchir des principes d’Auguste Escoffier. Plus qu’un plat signature, le saumon a l’oseille est devenu une référence ultime dans le monde entier par sa technicité, son audace et son apparente simplicité: «La simplicité te contraint à être juste, il n’y a pas de mascarade. Il ne faut pas oublier que c’est une cuisine de l’instant. Une fois dressé, le plat doit être servi dans la minute qui suit, cette recette peut sembler ultra simple et en même temps la simplicité est poussée à son extrême précision. Rien ne pourrait venir masquer un “à peu près”, c’est un plat avec trois produits, on sait exactement ce qu’on mange. Lorsqu’on regarde la cuisine d’Escoffier qui était la référence absolue dans les années 20, on voit qu’il y a beaucoup d’ingrédients dans ses recettes.» Si Michel avait retiré le saumon du menu pendant quelque temps en ne le rendant disponible que sur demande, le monument a fini par faire son grand retour.

Journaliste
0 article par :
Déborah Pham
Co-fondatrice de Mint et du restaurant parisien Maison Maison. Quand elle n’est pas en vadrouille, elle aime s’attabler dans ses restos préférés pour des repas interminables arrosés de vins natures. Déborah travaille actuellement sur différents projets éditoriaux et projette de consacrer ses vieux jours à la confection de fromage de chèvre à la montagne.

Crêpe soufflée au chocolat de la famille Troisgros

Tout savoir sur le cochon !

On the milky way

Terre de blé, le fournil aux origines du pain

(Ré)inventer le meilleur restaurant du monde

À table avec Stéphane De Groodt

Gros Bao : coup food sur le Canal Saint-Martin