Il était une fois, au lendemain du Dry January

Alors que 35% des français.e.s entre 18 et 25 ans ont déclaré vouloir arrêter l’alcool pendant le mois de janvier, on a eu cœur d’aller toquer aux portes des restaurants et bars pour demander à leurs tenanciers comment ça va de leur côté. Quelles leçons tirent-ils de cette nouvelle tendance qui séduit de plus en plus de consommateurs ? Elargir la carte nolo ? Explorer d’autres types de dégustation ? Faire de la résistance ? Trouver des compromis ? La mixologue Margot Lecarpentier, les restaurateurs Audrey Jarry et Jean-Charles Buffet et Camille Lorant, sommelière chez Neso, nous ont livré leur sentiment.

Quand Camille Lorant parle de son métier de sommelière, c’est avec l’enthousiasme dans la voix et la promesse de s’émanciper des codes qui régissent parfois le monde du vin. « Il faut savoir réinventer la consommation d’alcool. Aujourd’hui, le vin, c’est un peu pour « papa et maman». La jeune génération cherche à consommer de façon plus saine et plus raisonnée, et je ne fais pas exception ». Chez NE/SO, le restaurant de Guillaume Sanchez, la jeune femme a trouvé un cadre gastronomique qui ne fait qu’enrichir sa créativité. La cuisine du chef explorant diverses techniques de fermentation, une valorisation du terroir toujours pensée en saisonnalité et respect du produit, est parfaitement complémentaire de l’approche de Camille. Soucieuse avant tout du plaisir des client.e.s, elle est toujours à l’affût de l’idée qui l’amènera ailleurs, et pourquoi pas, vers le sans alcool.  » Il y a tellement à faire, à tester. Lorsque je propose un soft original, les gens dans un premier temps sont sceptiques. Mais ils se laissent vite tenter à goûter quelque chose de différent. Quant on fait le Dry, la question est de savoir si on veut boire quelque chose qui ressemble à du vin mais sans alcool, ou bien au contraire, si on souhaite partir dans une expérience gustative nouvelle. » En discutant avec elle, on se fait très vite une opinion sur la question.  Les client.e.s se laissent surprendre et optent souvent pour une boisson qu’ils ne connaissent pas. Le Dry January nous pousse naturellement sur le chemin de la curiosité, par nécessité de trouver des alternatives. Et la sommelière décide d’en faire un atout, plutôt qu’une contrainte, d’autant que l’impact sur le business est moindre chez NE/SO. « Le mois de janvier est toujours calme de toute façon et je note depuis plusieurs mois des verres de vin commandés à l’unité pour durer tout le long d’un repas. Ce n’est pas juste une question d’un mois sans alcool, c’est une tendance qui se généralise ».

Photo : Xavier Rauch

Mais cela ne signifie pas pour autant une fin programmée de son métier, bien au contraire. Les boissons non alcoolisées offrent un avenir encore peu envisagé à la mixologie. « Je travaille beaucoup les Kumbuchas, les Kéfirs, par des techniques de double fermentation, que je personnalise ensuite avec mes propres infusions. L’harmonie avec la carte de Guillaume Sanchez est vraiment intéressante, comme un défi à relever à chaque nouveau plat. » Camille met également un point d’honneur à rendre ses boissons accessibles gustativement, un critère de plus dans l’étendue des possibles de l’offre nolo.

Du côté du Passage, le restaurant d’Audrey Jarry et Jean-Charles Buffet, les cloches tintent différemment, comme la bouteille qu’on retrouve sur leur logo. « Nous sommes des vendeurs de vins, donc forcément … » Audrey, fille de vignerons, modère les propos de Jean-Charles, en salle ce soir là, et plus virulent sur la question.  » Lui, le Dry January, ça l’emmerde ! ( rires ). Moi, je constate l’engouement pour la tendance, et ça m’inquiète un peu. » On peut le comprendre, car dans le temple bistronomique qu’est leur restaurant, où le vin est le fil rouge d’une approche épicuriste, le manque à gagner lié à l’abstinence d’une partie de la clientèle se fait ressentir. « On le voit, on en pâtit, lorsque les gens se limitent dans un lieu dédié au plaisir et à l’excès ». Le ticket moyen n’est plus le même, et cela contribue nécessairement au scepticisme du couple sur le nolo, même si certain.e.s habitué.e.s « jouent le jeu » en commandant autre chose qu’une carafe d’eau.

Qu’on se le dise, la devanture de mosaïque familière des habitants du quartier, donne envie de pousser la porte vitrée et d’aller boire un bon vin bio ou nature au comptoir. L’endroit est propice et chaleureux, et laisse peu de place à l’alternative sans alcool, considérée en lieu et place comme légèrement rabat-joie. Pour autant, Audrey propose des softs, autres que les classiques jus de fruits et sodas. « Mais tu vois ! s’exclame-t-elle, on a à la carte un cola artisanal mais les gens ne le demandent presque jamais. Ils veulent le vrai coca. On a aussi eu du kombucha maison à un moment et une bière sans alcool Gallia, l’IPA du travailleur. Franchement pas mal !« 

Il n’y a donc aucune défiance manifeste dans le discours d’Audrey, qui ne se montre pas réfractaire à la nouveauté. « Je n’ai rien contre le vin en cannette par exemple. J’ai à la carte un gin sans alcool. Je goûte, je teste. » En revanche, ne lui parlez pas des nouvelles techniques d’extraction d’alcool, qui selon elle, s’éloignent du respect de l’environnement qu’elle prône depuis toujours.

Et s’il y a a bien des clientes qu’elle chouchoute, ce sont les femmes enceintes, où la question de la sobriété ne se pose pas. « Je leur sers toujours leur soft dans un joli verre à vin » . Une attention révélatrice de la joie de vivre de la restauratrice, qui comprend aussi l’envie de prendre soin de soi, ayant déjà fait des séjours de jeûne total histoire de se sentir mieux. On peut donc dire que la femme adhère à l’idée du Dry January, quand la responsable d’une affaire qui doit tourner, souhaite faire vivre les vignerons. Un équilibre pas toujours évident à trouver …

Margot Lecarpentier ne dira pas le contraire mais cela fait longtemps que la fondatrice de Combat s’est saisi du sujet nolo. Cheffe mixologue, la jeune femme n’a pas choisi le nom de ses bars au hasard : le combat pour l’inclusivité est le mot d’ordre.  » Lorsque j’étais enceinte, ça me rendait folle de constater qu’aucune boisson n’était faite pour moi dans les restaurants où j’allais. Que de l’eau ! Mais c’est ouf, c’est presque hors la loi. Ce n’était pas pensable pour moi, dans mon propre lieu, de ne pas offrir un large choix aux clients qui ne consomment pas d’alcool, quelle qu’en soit la raison. » Le Dry January, et le nolo de façon plus générale, n’a rien de révolutionnaire pour Margot, elle a toujours fait avec et surtout elle le revendique comme nécessaire. « Que fait-on des anciens alcooliques, des personnes qui ne boivent pas pour raisons religieuses ou de santé ? » Ils sont négligés voire invisibilisés. Quant à celles et ceux qui font le Dry January, de plus en plus nombreux, ils peuvent être moqués par la génération d’au dessus. « Qui écoute encore les boomers aujourd’hui ? s’amuse Margot. Ceux qui conspuent le sans gluten, ne veulent pas toucher au gras, et font une fierté de résister à la tendance ? C’est comme la politique, on ne sera jamais d’accord. »
Si on s’en amuse ensemble, il y a une forme de réalisme sur le choc des cultures alimentaires, et par extension la question du rapport à la boisson, qui évolue sensiblement. Il faut donc prendre le train en marche, mais de façon conscientisée et avec conviction. Car Margot perçoit dans l’adhésion au Dry January de certains restaurants et bars, une forme de « nolo washing ». « Proposer du sans alcool juste pour suivre le mouvement et y trouver un intérêt financier, ce n’est pas avoir le souci du goût. »

Photo : Laura Stevens

Car à l’instar de Camille Lorant, Margot entrevoit dans les softs, la possibilité de développer des saveurs nouvelles. « Quand je travaille le sans alcool, je fais le même travail que d’habitude. Les ingrédients sont différents mais la volonté de réussir ma boisson et de satisfaire celle ou celui qui la boira est la même. » Dans les tutos qu’elle poste sur internet, les recettes de ses cocktails sont toujours proposées avec l’alternative sans alcool. Et cela ne dénature en rien le savoir-faire. Alors pourquoi s’en priver ? D’autant que la plupart du temps, les clients dubitatifs finissent par dire « Ah mais en fait, c’est trop bon ! » témoigne-t-elle d’expériences vécues derrière son comptoir.

Et lorsque notre discussion dérive sur les questions de rapport à la consommation d’alcool en fonction du genre, Margot a son mot à dire. « C’est par les femmes que les mentalités peuvent évoluer. Elles sont beaucoup plus nombreuses à expérimenter le sans alcool et découvrir l’offre déjà existante. Dans les dégustations de soft il y a une majorité féminine, c’est net. »

L’avenir appartient donc peut-être à celles qui sont aux petits soins pour leur clientèle, à l’image de Camille, Audrey et Margot, et qui embarqueront sans nul doute leurs comparses masculins dans la folle aventure de la modération.



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Marie-Eve Brisson
Marie-Eve est journaliste chez Mint. Elle a fait ses armes chez Télérama puis Causette en passant par une agence de design et l’enseignement du yoga. Elle aime donc faire des détours dans sa vie professionnelle comme dans Paris, où elle part à la quête de nouvelles adresses, avec une prédilection pour les coins cachés, les épices qu’elle ne connait pas encore et les céramistes en tout genre.

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