L'intelligence artificielle dans la gastronomie : un outil à explorer ou à fuir?

Robots cuisiniers ou menus personnalisés, l’IA – l’intelligence artificielle s’installe progressivement dans nos assiettes. Si certain.e.s professionnel.le.s voient en elle une alliée de la créativité culinaire, d’autres craignent qu’elle ne tue l’âme de la gastronomie. Et si la réponse était au bout de notre fourchette ?

Ce 18 avril 2023, le photographe berlinois Boris Eldagsen était primé pour son cliché Pseudomnesia: The Electrician, présenté au concours Sony World Photography. Seulement voilà, cette photographie a été générée par intelligence artificielle et le lauréat a logiquement refusé son trophée. Derrière cette démarche avec précédent (nous nous souvenons du tableau Théâtre d’opéra spatial créé à l’occasion de la Colorado State Fair par l’IA Midjourney), s’impose l’intention d’ouvrir le débat autour de l’intelligence artificielle dans l’art. Dans l’art, mais aussi dans les médias, dans le discours politique, dans la création littéraire ou intellectuelle. Mais qu’en est-il du côté des cuisines ? L’intelligence artificielle est-elle un outil à explorer ou à fuir face à ses potentielles dérives ? La gastronomie est-elle d’ailleurs foncièrement influençable par l’intelligence artificielle ?

On serait tenté de croire que non. Après tout, nos papilles sont parfaitement organiques et rien ne semble pouvoir remplacer l’expérience intime du goût. Pourtant l’IA s’immisce progressivement derrière les fourneaux. Du côté des chef.fe.s pour commencer, qui y trouvent un moyen de booster leur créativité alimentaire et pour certain.e.s de considérer cette nouvelle technologie comme un champ d’expérimentation.

On songe notamment aux structures des aliments, qui modifient le goût mais aussi les arômes, amorcée par la désormais indétrônable cuisine moléculaire. Egalement, de façon plus pragmatique, à la gestion de stocks et à l’évolution des fruits et légumes dans leur maturation, de sorte qu’ils soient cuisinés ou consommés à point nommé, à l’instar des avocats dont on vous parlait juste ici. Que l’on adhère ou pas, le train est en marche.

C’est en tout cas ce qu’affirmait Shinichi Tobe en 2020, porte-parole de la société japonaise Sony qui a entre autres développé une application baptisée FlavorGraph. Cette dernière cartographie des ingrédients pour aider les chefs à imaginer de nouvelles associations qui utilisent bien plus leur intuition ( et on s’en réjouit ) que leurs connaissances scientifiques pour combiner des saveurs. Sony a également conçu les tout premiers robots humanoïdes assistants en cuisine. Trois ans plus tard, c’est en Croatie qu’on se targue d’avoir ouvert le tout premier restaurant entièrement géré par des GammaChef, des robots produits par la start-up éponyme basée à Zagreb et qui cuisinent des plats de façon parfaitement autonome. Les ingrédients sont préalablement disposés dans des compartiments dédiés et ensuite sélectionnés, dosés, agrémentés, mélangés et cuits par les robots. Cela apporte donc une précision inébranlable dans les proportions, et qui exclut totalement par la même occasion le « twist » humain, la petite pincée d’épices à la volée ou la minute de cuisson supplémentaire qui peuvent changer un plat. Déplorable ou pas, à chacun.e de se faire une idée. Shinichi Tobe en a une bien arrêtée en défendant les vertus techniques de la robotique. Il évoque notamment, lors d’une conférence à Tokyo, la question de la cuisson :  la maîtrise parfaite de la température et de son évolution, du temps imparti à chaque aliment, ou du calcul exacte de la zone sur laquelle appliquer la chaleur pour une cuisson parfaite seraient des atouts indéniables dans le processus culinaire. Serait-ce alors incompatible avec l’intervention humaine ? L’idée serait plutôt d’y voir un outil au service du talent irremplaçable d’un.e chef.fe et son imagination inaliénable.

Côté consommatrices et consommateurs, l’intelligence artificielle est également à l’œuvre. Nous l’évoquions il y a quelques temps à propos d’un restaurant à San Francisco où le menu est choisi pour les client.e.s par l’artefact d’une IA soi-disant capable de définir les besoins et les envies de chacun.e en termes de nourriture par une analyse rapide de notre profil : nos âges, corpulences, genres ou même humeurs … Un véritable épisode de Black Mirror dans lequel nous pourrions tout de même noter des avantages certains, notamment dans la détection d’allergie ou intolérance alimentaires. Tout ne serait donc pas à jeter dans la machine infernale.

Aujourd’hui, c’est indéniable, l’intelligence artificielle est en train de pimenter nos assiettes sans que nous y soyons totalement préparé.e.s. Car cet arrière-goût de technologie n’aura jamais la saveur du flan de mamie. Et que dans les valeurs sûres se réfugie comme un des derniers bastions, notre plaisir à manger et à partager une table sans intervention technologique. Reste à savoir si la gastronomie est exempte d’une modernité des plus clivantes. Car si adopter en partie l’intelligence artificielle pourrait améliorer la nourriture de demain, l’adopter entièrement dénaturait le plaisir pur et simple du coup de fourchette. L’équilibre sera-t-il de mise ? Certainement quand on sait qu’un robot n’investira jamais pleinement l’esprit d’un.e chef.fe.

Set de petit-déjeuner de Ralph Kramer pour Mono
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Marie-Eve Brisson
Marie-Eve est journaliste chez Mint. Elle a fait ses armes chez Télérama puis Causette en passant par une agence de design et l’enseignement du yoga. Elle aime donc faire des détours dans sa vie professionnelle comme dans Paris, où elle part à la quête de nouvelles adresses, avec une prédilection pour les coins cachés, les épices qu’elle ne connait pas encore et les céramistes en tout genre.

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