Le Restaurant de l’Hotel, Paris

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D’aussi loin qu’on s’en souvienne, les plats les plus goûteux ont toujours été les plats en sauce. Une fois que l’on avait mangé toute son assiette, il ne restait plus qu’à «saucer» le plat avec un morceau de pain pour se délecter de ce jus qui avait mijoté des heures durant dans une vieille cocotte en fonte. Pourtant, la sauce est aujourd’hui la grande absente des assiettes à la mode. S’inspirant d’une vague scandinave minimaliste, les chefs ne se cassent plus trop la tête à faire mijoter leurs plats pendant des heures, tout simplement parce que ce n’est plus en vogue. Ces plats à l’image un tantinet rustique n’ont plus leur place à la carte des restaurants… Pour le moment, car si la tendance est aux trois produits par assiette avec son petit jus d’herbes bien ficelé ou infusé aux fleurs de sureau, force est de constater que la sauce ne manque pas qu’au client mais aussi au cuisinier. 

Julien Montbabut est le chef de L’Hôtel, un hôtel-restaurant suffisamment secret pour que des centaines de parisiens passent devant chaque jour sans se douter du trésor qui se cache derrière la façade, et suffisamment renommé pour accueillir des pointures d’hier et d’aujourd’hui. Salvador Dali, Jean Cocteau, Jim Morrisson ou plus récemment l’ancien couple Vanessa Paradis et Johnny Depp qui appréciaient autant le calme que le service aux petits oignons. Connu pour avoir été la dernière demeure d’Oscar Wilde qui mourut «au dessus de ses moyens» en y laissant de nombreuses lettres de créance, L’Hôtel est un lieu chargé d’histoire. Autrefois sous-chef, Montbabut étonne par sa cuisine juste et précise en accord avec les attentes des propriétaires anglais. Il est rappelé lors du départ de son ancien chef Philippe Belissent et reprend les rennes du restaurant. En dépit de son faste et de sa réputation, c’est un endroit où l’on se sent terriblement bien. On y diffuse en sourdine une musique très jazzy dans une salle qui s’ouvre sur un petit jardin arboré.

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Rares sont ceux qui connaissent vraiment le travail que représente l’élaboration d’une sauce. Le chef le dit : il lui faut trois jours. Un premier jour de cuisson avec des os et de la viande afin d’obtenir un premier jus qui sera retravaillé le lendemain avec une autre viande. Le troisième jour, on la laissera réduire une dernière fois. Pour réaliser un litre et demi de sauce, il faut quinze kilos de viande et huit kilos d’os ; autant dire que ce n’est pas le genre de recette qui s’improvise un dimanche soir à la maison.

Ce n’est pas un hasard si la place du saucier était la plus prisée au sein d’une brigade de cuisine. Ce poste clé nécessite de connaître parfaitement les produits afin de créer le lien entre une viande et ses légumes. Tout est question de cohérence. Outre les jus, on demande au saucier de maîtriser les fonds bruns, roux ou blancs, les coulis, les marinades ou encore les courts-bouillons. Comme de nombreux métiers de bouche, le saucier tend à disparaître puisque les cuisiniers sont plus encouragés à être de vrais couteaux-suisses plutôt qu’à avoir chacun sa spécialité. Julien Montbabut fonctionne de cette manière : faire participer chaque membre de sa brigade à chaque poste permet de consolider l’équipe et de faire participer tout le monde à la création d’un plat. Les cuisiniers en ressortent avec de vraies connaissances, au-delà de l’aspect pratique de pouvoir remplacer un collègue qui se fait porter pâle. Le chef explique : «Lorsque je mets une sauce au point, je demande l’avis des autres. La cuisine c’est comme un dictionnaire avec mille techniques, mais ce qui donne sa dimension au plat, c’est d’être enrichi par les autres.». Si on lui demande de décrire sa cuisine, le chef trébuche un peu : «Je fais une cuisine qui met le produit en avant… Sans dire que je fais une cuisine de produit ! C’est nul ça, mais il est évident que je ne vais pas faire du bar ou du homard toute l’année. Philippe Mille dit «Je fais une cuisine de cuisinier», ça c’est fun. En ce qui me concerne, je fais une cuisine de gourmand car tout ce que je fais, j’aimerais le manger. À côté de cela, ma cuisine est très attachée au terroir français.».

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La prouesse, c’est de faire une cuisine de terroir tout en restant dans l’air du temps. Les modes n’épargnent pas la cuisine et c’est au chef de faire le tri pour lui donner la bonne direction : «Le ris de veau et salsifi que tu as mangé ce midi, c’est has been ! Par contre un ris de veau avec ce jus et des salsifis travaillés à la carbonara, c’est autre chose. On apporte plus de personnalité au produit.». Has been ou pas, le chef aurait pu tranquillement nous servir un bol de ces salsifis qui étaient à tomber par terre. Bien sûr, la tendance est à l’épure scandinave et le chef joue le jeu : «J’y pioche des idées de dressage mais les jus ne sont pas vraiment une spécialité des pays nordiques et là je tiens à garder mon identité. En cuisine, j’attends beaucoup de feeling et de sensibilité de la part de mon équipe. Le truc des points dans l’assiette n’a rien d’aléatoire ! Pour moi c’est du bordel organisé.».

Julien Montbabut a démarré en cuisine à une époque où le métier de cuistot était réservé aux mauvais élèves : «Quand j’étais en troisième et que je disais que je voulais faire ce métier, ce n’était pas bien vu : mon père n’était pas enjoué. J’étais un bon élève et n’avais aucune raison de suivre une filière professionnelle. Avant ça se passait comme ça. Et tout a commencé bêtement : je viens d’une famille de cinq enfants et les aînés aidaient ma mère en cuisine pour la soulager.». Aujourd’hui les chefs font des émissions, posent en couverture de magazines et tout le monde (nous les premiers) tient à connaître leur avis sur tout : «Evidemment, je ne fais pas ce métier pour avoir ma photo dans les magazines et me trimballer en boîte avec. C’est une mode et tant mieux pour nous, on le doit à Paul Bocuse : c’est grâce à lui si nous sommes sorti de la cuisine. J’exerce un métier de passion, j’aime transmettre ce que je sais et j’ai la chance de pouvoir le faire. La mode, ça me passe au dessus.».

Pourvu que Montbabut tienne le cap car sa cuisine frôle la perfection. Puisque notre chef a les pieds sur terre et qu’il n’aime pas ce genre de fioritures, nous ne parlerons pas «d’expérience», quoiqu’il en soit ce fut un repas inoubliable, une adresse encore discrète qu’on serait tenté de garder pour nous.

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L’Hôtel / 13, rue des Beaux Arts / 75006, Paris / 0144419900
Déjeuner : Plat – 35€, Entrée-Plat ou Plat Dessert – 45€, Entrée-Plat-Dessert : 55€
Menu en 5 services : 95€ ou 140€ avec 3 vins / Menu en 7 services : 115€ ou 170€ avec 4 vins
Fermeture : dimanche et lundi

Journaliste
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Déborah Pham
Co-fondatrice de Mint et du restaurant parisien Maison Maison. Quand elle n’est pas en vadrouille, elle aime s’attabler dans ses restos préférés pour des repas interminables arrosés de vins natures. Déborah travaille actuellement sur différents projets éditoriaux et projette de consacrer ses vieux jours à la confection de fromage de chèvre à la montagne.
Photographe
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Marie Amélie Tondu
Marie Amélie est photographe et aime passer d'un domaine à l'autre : mode, nature-morte, portrait, food ou encore reportage. Elle réalise des images pour différents magazines et marques.

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