"Le jour où je suis sortie de prison grâce à la cuisine."

À 25 ans, Justine est une fille ordinaire qui suit des études de droit. Elle sort beaucoup aussi, jusqu’à ce qu’un accident la conduise en prison. Elle est incarcérée plusieurs années en maison d’arrêt. Pour occuper ses journées et améliorer l’ordinaire, elle prépare des plats dans sa cellule avec les moyens du bord. Le plaisir qu’elle prend à cuisiner pour elle et ses codétenues, l’encourage à continuer malgré les circonstances. Peu à peu, elle se reconstruit à travers un projet ambitieux qui l’anime toujours aujourd’hui… devenir cheffe.

 » Étudiante, je cuisinais un peu chez moi pour mes potes. Je vivais à Bordeaux où on aime le bon vin et la bonne bouffe! Mais je n’avais pas beaucoup de temps pour la cuisine car je préparais le concours de commissaire priseur. Et je faisais beaucoup la fête. Trop. Je suis venue à Paris pour m’éloigner des soirées bordelaises. On peut dire que ça n’a pas marché. Ici aussi je sortais tout le temps, je prenais de la drogue tous les weekends, principalement de la cocaïne et de la MDMA. À un after comme les autres, c’était plus fort, plus concentré… une fille a fait une overdose. Elle est décédée. Juste en voulant passer une soirée sympa. Ça remet tout en question, toute une vie, un mode de vie, celle de sa famille, la mienne aussi. J’ai été admise en détention à Fleury-Mérogis. En maison d’arrêt, on passe 22 heures par jour en cellule, il faut trouver des activités. Je me suis mise à cuisiner, toute seule, pour m’occuper et amener du plaisir dans ces circonstances. Le résultat n’était pas si mauvais, mais il fallait beaucoup d’astuce. J’ai commencé avec une plaque à induction et une casserole. J’allais à la bibliothèque choper des recettes et je les adaptais avec les produits que j’avais, en fonction de leur disponibilité, de l’argent sur mon compte, des délais… Je n’avais aucun moyen de peser donc je faisais toutes les équivalences en pot de yaourt. Je sais aujourd’hui qu’un pot de yaourt c’est 55 grammes en flocons d’avoine, 70 grammes de farine… J’ai fabriqué une râpe en trouant une boite de conserve, je récupérais le papier alu des tablettes de chocolat pour faire des moules à muffins. C’est interdit de sortir en promenade avec de la nourriture, j’en filais aux autres détenues en les cachant sur moi. Ça me permettait de tisser du lien, de communiquer mes émotions.

Au début, je pensais reprendre mes études en sortant de prison. Mais peu à peu la cuisine m’est apparue comme une évidence. C’est tout ce qui me correspond : le dépassement de soi et la rigueur que j’aime
aussi dans le sport, mais aussi le plaisir, le partage, et l’apprentissage perpétuel… Je n’ai pas pu participer à la formation de l’école de Thierry Marx durant la détention car j’attendais encore mon jugement. Mais pendant toutes les pauses j’allais poser des questions à la formatrice. La semaine où j’ai été condamnée j’ai postulé et j’ai accédé à une autre formation, à l’extérieur celle-ci. J’ai pu demander une libération anticipée sous bracelet électronique et c’est grâce à la cuisine que j’ai pu sortir de prison. J’ai eu une semaine pour me réhabituer à la vie normale, gérer la partie administrative…. C’était une formation condensée adressée à des personnes en reconversion. Elle a le mérite d’être financée par Pôle Emploi et de permettre un retour à l’emploi rapide. En sortant de prison j’avais peur de ne pas avoir d’argent, que mes parents ne m’aident pas comme avant, j’avais besoin de sécurité et cette école me l’a offert. Pourtant, en prison déjà je rêvais de Ferrandi, pour moi c’était l’élite. Un jour, un mec m’a entendue parler de cette école à une amie. Il m’a abordée, je lui ai raconté mon histoire et on s’est découvert de nombreux points communs… le soir même il me proposait de financer mon cursus! Une de mes craintes avant de sortir de prison c’était d’avoir un stigmate de taularde, et d’être réduite à mon passage en détention, mais ça a été l’exact opposé ! Tout le monde a voulu m’écouter, me donner ma chance. Je me suis aussi remise en question : est-ce que je n’avais pas ces privilèges pour des mauvaises raisons? J’avais peur d’être une bête de foire qu’on essaie de réinsérer pour se donner bonne conscience. Et en fait non, j’ai relevé tous les challenges. Ça m’a donné confiance en moi et ça m’a confortée dans l’idée que la cuisine était faite pour moi.

Illustration Fanny Monier

Aujourd’hui je suis en stage chez Babel à Belleville, un bistrot aux influences asiatiques. Ils ont accepté d’aménager mes horaires pour que je continue à travailler à côté pour payer mon amende, mon loyer… Je suis passée au Saint James, un restaurant gastronomique porte Dauphine où j’ai travaillé avec le chef Julien Dumas. J’ai bossé aussi chez Taka et Vermo, une fromagerie qui a développé son offre pendant le confinement en multipliant les collabs… En cuisine, il y a de la place pour tout le monde, tellement de profils différents, d’expériences et de rencontres à faire. Pour le moment je fais l’éponge, je dis oui à tout ce qu’on me propose, je me retrouve à travailler sur des recettes à deux heures du mat’ après mon service, le matin avant d’aller à l’école…C’est pour ça que je suis au bout de ma vie la plupart du temps, mais bon, j’ai trois ans et demi à rattraper !
Je n’ai jamais caché mon passage en prison, j’aurais eu l’impression de mentir. Et concrètement, il m’était impossible de raconter la saison 7 de Game of Thrones alors que la 10 est déjà sortie! Je tiens aussi à témoigner des risques à faire des soirées comme ça, on a parfois tendance à ne voir que l’aspect glam’ de la coke! … Mais le point le plus important c’est que la prison m’a fait grandir. Je ne fais pas l’apologie du système carcéral français, c’est de la merde et ça détruit les gens plus que ça ne les construit… Mais moi, j’y ai énormément appris, confrontée à un monde que je ne connaissais pas, à une précarité, à une violence. Je ne suis plus la même personne et je suis fière de celle que je suis aujourd’hui. »

Journaliste
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Mathilde Froment
Mathilde ne sait pas trop quoi faire de sa life mais pour l'instant, ça va, elle est en vacances sur une île grecque.

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