Objetos decorativos

Texte : Hélène Rocco
Photos : Juan Serlo; Los objetos Decorativos

Article extrait de Mint #14

À Barcelone, les formes et les textures présentes dans la nature nourrissent les créations de Rosa Rubio. Depuis 2016, la fondatrice de Los Objetos decorativos imagine des objets qui la rendent heureuse, à contre-courant de la grande règle du design qui veut que chaque produit soit fonctionnel. Des boîtes à bijoux en forme de coquillage, des vases comme des totems couleur terre qui n’ont qu’une seule vocation : être collectionnés. Fabriquées à la main par des artisans espagnols, les pièces en céramique sont belles, un point c’est tout. 

Mint : Quel est ton parcours ?

Rosa Rubio : J’ai étudié le design industriel et la conception de meubles, puis j’ai suivi des cours de scénographie, graphisme et photo. Je m’intéresse à de nombreuses disciplines artistiques, l’idée est donc de poursuivre l’apprentissage et de faire appel à ces différents domaines dans mon travail. Il y a trois ans, j’ai fondé mon studio. Quand il a fallu le nommer, j’ai fait simple. Je n’ai jamais été très douée pour mettre des étiquettes. «Los objetos decorativos», ça sonnait bien et ça expliquait ce que je voulais faire sans trop de détour, à savoir : des objets décoratifs. 

M. : Tu décris tes créations comme étant inutiles et abstraites, pourtant beaucoup de designers tiennent à ce que leurs objets soient fonctionnels. Pourquoi aller à contre-courant ?

 Eh bien, disons qu’en tant que créatrice, l’utilitaire concret ne m’attire pas. J’essaie de créer des pièces assez ouvertes pour que le client puisse lui donner la fonction qu’il souhaite. Je sais que le design académique vise à améliorer l’utilité d’un produit, mais je ne vois pas ce que mes créations peuvent apporter de ce côté-là. En termes de fonctionnalité et de design, il y a déjà beaucoup de progrès, beaucoup de produits sur le marché. J’essaie de créer des pièces qui transmettent des émotions à quiconque veut interagir avec elles, en donnant ma vision esthétique à un instant T.

M. : Est-ce que privilégier l’esthétique est dû à l’époque dans laquelle on vit ?

Si l’esthétique l’emporte à l’heure actuelle, c’est parce que ce qui devait être résolu a déjà été résolu et les gens veulent quelque chose de plus. Nous sommes à un moment où l’image est le moyen le plus direct d’atteindre le public et c’est pour ça qu’on essaye d’aller dans ce sens.

M. : Instagram est une partie importante de ton succès d’après toi ?

 Oui. C’est un outil très puissant et direct, à la fois pour que mon travail puisse être vu par n’importe qui dans le monde et pour être au courant de ce qui se fait ailleurs. C’est une grande fenêtre et un canal très libre, cela m’a donné beaucoup d’opportunités en termes de ventes et de visibilité du projet. 

M. : Tu crées des objets de collection, es-tu toi-même une collectionneuse ?

Oui, j’aime collectionner. J’ai une prédilection particulière pour les vases et les boîtes, surtout les objets décoratifs. Quand je commence une collection, ça vire vite à l’obsession. Les minéraux, les cailloux, les fossiles marins … Les formes présentes dans la nature m’étonnent et je les trouve très inspirantes. C’est de là qu’est née l’idée de concevoir une collection autour du coquillage, avec une esthétique contemporaine.

M. : Tu peux nous en dire plus ?

La forme d’un coquillage est attirante, presque hypnotisante. Elle a longtemps été utilisée dans la déco par différentes cultures et différents courants esthétiques, comme par exemple en Art Déco. Ça fait également partie de l’esthétique méditerranéenne et donc de ma culture. C’est sans doute pour ça que cette collection a eu du succès ! C’est facile pour les gens de s’y connecter, ça leur évoque des souvenirs.

M. : Avant de tomber dans la céramique, tu utilisais du plâtre ?

C’était à l’époque où je produisais moi-même mes œuvres. Je suis tombée sur le gypse, un type de plâtre très résistant et facile à travailler. J’ai fait les reproductions avec des moules en silicone. Ce matériau était très polyvalent, on pouvait le teindre, ajouter d’autres matériaux (comme des pierres, pour obtenir du granit), mais la production était très lente en raison du temps de séchage et du poids des pièces. C’est la raison pour laquelle j’ai dû me lancer dans la production de céramique pour obtenir des pièces mieux finies.

M. : Comment sont fabriqués tes objets ?

Je travaille très étroitement avec des artisans céramistes. J’ai commencé par aller les chercher à Valence, d’où je viens, car on a une grande tradition de la céramique. Maintenant, je travaille aussi avec d’autres ateliers à Barcelone, où je vis. De la conception à la production, il y a de nombreuses étapes et je dois régulièrement rendre visite aux designers et artisans. Je collabore avec des modélisateurs 3D pour certaines pièces complexes comme la coquille. Ensuite, des artisans fabriquent le moule en céramique et des potiers s’occupent des finitions.

M. : Chacune de tes créations est unique, est-ce que tu cultives la philosophie du wabi-sabi ?

J’aime bien cette philosophie oui. L’idée que les imperfections apportent finalement beaucoup de valeur à une pièce. Avec la céramique, puisqu’il s’agit d’un travail à la main, on voit la marque de l’homme, les petits détails imparfaits. Certaines personnes vont y voir une erreur plutôt qu’une vision. C’est difficile quand on veut vendre mais je pense que ça fait partie du charme des produits artisanaux.

M. : Qu’est-ce qui t’a inspiré ce style poétique aux tons pastel ?

Le pastel, c’est venu quand j’ai effectué une résidence de photo il y a quelques années. Je voulais faire une exploration plastique des matériaux et pour que ces éléments aient une importance, j’ai décidé de garder cette tonalité comme fond pour le projet. À partir de là, j’ai vu que ça fonctionnait aussi pour les objets et ça a fini par faire partie de mon identité visuelle. Je pense que cela crée une atmosphère et un ton qui permettent à chaque élément de coexister.

M. : La photographie et la scénographie tiennent aussi une grande place dans ton travail ?

La scénographie me permet de participer à l’ensemble du projet. J’aime travailler les volumes et la plasticité dans les matériaux, jouer avec les textures et les calques pour créer un ensemble poétique. Et au fur et à mesure que j’apprends la photo, je me rends compte qu’elle peut vraiment apporter une vision et un ressenti.

M. : À quoi va ressembler la prochaine collection ?

Je viens tout juste de sortir trois nouvelles pièces, la collection s’appelle « New waves » (nouvelles vagues en français, ndlr). Après le succès du coquillage, j’ai continué sur une autre version qui prend la forme d’une coupelle. J’ai également voulu travailler d’autres formes très géométriques qui rappellent malgré tout les ondulations de la coque. L’une des pièces est un vase et l’autre a un caractère plus sculptural. En ce qui concerne les couleurs, je voulais cette fois travailler avec une gamme très subtile, assez neutre comme du blanc, du beige et un vert citron très clair. La collection précédente était composée de couleurs primaires très puissantes et je voulais que la subtilité de ces nouvelles pièces rende possible la coexistence de toutes mes créations.

M. : Tu as d’autres projets à venir ?

J’ai envie de fabriquer d’autres pièces, avec d’autres techniques et matériaux que la céramique. Le textile m’attire beaucoup et je pense qu’il peut être très polyvalent et permettre d’obtenir des éléments décoratifs intéressants. Et puis j’ai toujours envie de continuer à explorer la photo.

www.losobjetosdecorativos.com

 

 

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