L'atelier de Mathilde

2016-FRE-cat10 Freger presse 4

Texte : Hélène Rocco
Photos : Noémie Cédille

À 24 ans, Mathilde Martin a déjà eu plusieurs vies. Étudiante en histoire puis sommelière chez Jones et Martin – boire et manger notamment, elle a tout plaqué il y a un an pour se consacrer entièrement à son amour de la céramique dans un studio des Lilas. Ses créations brutes, sauvages et toujours empreintes de poésie investissent peu à peu les belles adresses parisiennes.

Caché dans une ruelle calme, un bâtiment aux briques rouges observe sans rien dire les allées et venues d’une poignée d’artisans. Nous sommes à quelques encablures de la Mairie des Lilas, à l’heure où le soleil est au zénith. À travers la verrière se dessinent trois petits soliflores noirs : il est là, l’atelier de Mathilde, toutes portes ouvertes, prêt à nous accueillir.

Cela fait quatre mois qu’elle s’y est installée ; avant, la jeune femme de 24 ans était sommelière chez Jones (11e arr), l’un de nos restaurants préférés de Paris. Quand la céramique revient dans sa vie en 2016, c’est d’abord comme un passe-temps puis comme une évidence. Avec le vin, elle ne peut pas toucher la matière – ça, c’est le rôle du vigneron – et ça lui manque. Après quatre ans en cuisine en France, chez Martin – boire et manger, Au Passage et à Londres chez Koya et Naughty Piglets, elle prend la place d’une amie dans l’atelier, jongle un temps entre ses deux activités puis rend son tablier chez Jones pour se consacrer pleinement à l’artisanat.

La passion de la céramique l’habite depuis qu’elle a six ans. À l’époque, elle commence la poterie et ne rate jamais les cours. Ils ont lieu dans une cave où flotte une odeur de terre mouillée. Chaque élève a sa propre étagère où trônent fièrement tortues, porte-téléphones et petits vases faits main. Pour Mathilde, c’est un vrai plaisir de créer un objet de toute pièce. Les leçons durent cinq ans et après ça, aucun autre art n’aura la même saveur. Le dessin et la peinture la laissent insensible tandis que l’argile, modulable à l’infini, ne cesse de l’inspirer.

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Accompagner la terre

Chaque après-midi, la céramiste rejoint trois autres artistes dans le vaste espace de création lumineux, où les plantes sont omniprésentes et où les étagères débordent de vaisselle. Le coin de Mathilde est situé à côté de l’entrée. Sur une grande table, des fleurs sauvages coiffent le bois brut. Bientôt, elles orneront vases et soliflores pour la séance photo. Ces beaux objets sont blancs mat « comme des nuages » ou simplement couleur terre. Lorsqu’elle était sommelière, la jeune femme était spécialisée dans les vins nature et elle a toujours travaillé dans des restaurants qui mettent les produits sains, bruts et naturels à l’honneur. Alors, de la même manière, dans son travail du grès, elle préfère conserver la couleur originelle.

À 14 heures, elle plonge tête la première dans la création et ne s’arrête plus avant le début de la soirée. Parfois, elle arrive avec une envie particulière en tête, souvent elle puise l’inspiration sur Instagram. Chez Tara Burke par exemple, elle a aimé l’idée de donner des oreilles à ses vases et chez Sarah Jerath, elle aime la paille qui, en brûlant, laisse des traces sur l’argile. Pas question de copier bêtement, Mathilde suit plutôt le mouvement de la terre, la fait jouer et voit où ça la mène. Ce sont ses mains qui conduisent et il est rare qu’elle réussisse à créer le même modèle deux fois. Modeler, sécher, lisser, sécher à nouveau, faire cuire une première fois au four puis une seconde pendant douze heures et enfin, tremper la pièce dans un bain d’émail. En tout, il faut trois semaines pour créer un objet en céramique et il arrive qu’en ouvrant le four après la dernière cuisson, la terre n’ait pas résisté à la température très haute. Un de ses vases s’est cassé six fois de suite, la céramiste a arrêté d’essayer. Il y a bien une technique qui consiste à couvrir la pièce de plastique à la cuisson pour éviter les fissures mais le processus est beaucoup plus long. Et si c’est l’émail qui n’est pas bon, il n’est plus possible de rattraper le coup. Alors les ratés finissent à la poubelle et les succès sont d’autant plus gratifiants.

Son regard sur ses créations change sans cesse. Un jour elle est satisfaite de ce qu’elle fait, le lendemain elle trouve que tout est mauvais : «Travailler seule est très difficile parce que je n’ai de compte à rendre qu’à moi-même donc je dois être très exigeante. Si je ne fais pas preuve d’assez de patience, ça casse et je me mets à douter. Et si en plus à ce moment-là, je vais voir ce que font les autres sur Instagram, je risque de complexer.» Il a fallu qu’elle apprenne se sentir légitime, balayer les doutes, s’enrichir des techniques utilisées par les autres céramistes de l’atelier et accepter la critique. Comme lorsqu’une de ses amies lui dit que ses finitions ne sont pas bonnes et que les pièces ne sont pas vendables en l’état. Si le coup est dur, la remarque est constructive et Mathilde est même remotivée. En un an, elle a beaucoup progressé, elle produit moins mais mieux. Elle estime qu’il faut être humble et patient car pour elle «La terre a le dernier mot : il faut l’accompagner.»

Créer à plusieurs

Petit à petit, ses créations s’invitent dans les restaurants et les cafés parisiens. Chez Jones, on peut dîner dans quelques unes de ses assiettes. Au Bal, on trouve ses soliflores noirs et ses vases, qu’on peut acheter lorsque la collection change, tous les trois mois. Castor, un fleuriste de la rue de Belem, lui a demandé d’imaginer deux gros vases qu’elle a recréé à partir de pièces plus petites. C’est sur Instagram, sa meilleure vitrine, que son travail avait été remarqué. Et comme Mathilde s’entoure d’autres créatifs, les collaborations sont nombreuses. Avec son compagnon Harry Vidler, chef de Jones, ils ont organisé en octobre un dîner sur le thème de la marée basse pour Belafonte (un lieu de recherche gastronomique, ndlr). La céramiste a produit une vaisselle très fine à partir de terre-papier (un mélange d’argile et fibres de cellulose, ndlr), lui s’est occupé des bons plats, allant du merlu confit, céleri et poutargue, au sorbet poire, gin et poivre de timut.

Sa meilleure amie, Jeanne Hochberg, est illustratrice : un jour, elles aimeraient lancer une collection de céramiques avec des aplats de couleurs primaires, dans ce style brut auquel Mathilde tient tant. Et puis elle aimerait aussi modeler des luminaires, fabriquer un chemin de table en mouvement à la manière du vase TséTsé (un ensemble de tubes à essais reliés entre eux, ndlr) … Des rêves, Mathilde n’en manque pas. Pourtant, rien ne dit qu’elle ne changera pas une nouvelle fois de voie, elle qui a décidé qu’elle partirait toujours avant de se lasser d’une profession. À 24 ans, elle a déjà suivi des études d’histoire, passé un CAP de cuisine et été sommelière. Quand elle s’est lancée dans cette nouvelle aventure, sa famille a eu peur mais son exigence paie toujours, peu importe la discipline. Ne pas savoir où elle sera dans dix ans ne l’effraie pas. Peut-être qu’elle donnera des cours à des enfants, elle qui a tant aimé en suivre en grandissant. Ou peut-être qu’elle retournera en Angleterre avec Harry, dans une maison en bord de mer, perdue dans la campagne. Là-bas, elle ira chercher le grès sur le littoral puis le cuira dans un four au feu de bois, histoire d’être toujours plus proche de la nature.

Son site InternetSon compte Instagram 

 

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