Immersion en cuisine

Cette aventure m’est arrivée par hasard : un chef quittait un restaurant précipitamment, ne laissant pas le temps au gérant de trouver quelqu’un pour le remplacer. La patronne savait que j’aimais autant manger que cuisiner et m’a proposé de la dépanner pendant deux jours.

La mission était simple : créer un menu léger et un menu grassouille (charcuteries, plats en sauce, patates et compagnie) au Garde Robe, un petit bistrot du 1er arrondissement de Paris qui déjà ne proposait que des produits bien sourcés et des vins natures, c’était en 2013. J’étais plutôt confiante : deux jours c’était simple, j’aurais les recettes en tête.

Lors de mon premier service, j’étais littéralement malade de stress. J’avais pourtant vérifié le réfrigérateur la veille pour savoir quels produits je devrais préparer : mes recettes étaient calées. C’est ainsi que j’ai appris ma parfaite incapacité d’improvisation. Certaines personnes se retrouvent avec trois ingrédients entre les mains et réussissent à en faire un plat 3 étoiles. Ce n’était pas mon cas : j’avais besoin d’un papier, d’indications, de mesures précises. En clair, j’étais alors une cuisinière du dimanche qui suivait des recettes à la lettre et mes amis pensaient que j’étais un génie. Seulement ce jour là, je devais cuisiner pour une vingtaine de personnes que je ne pourrais pas endormir avec des blagues s’ils trouvaient le temps long. Les clients étaient là pour déjeuner rapidement et surtout, ils payaient pour. Je me souviens à peine du menu du jour. La responsable est passée me voir, j’étais pâle comme linge. J’avais la nausée et un mal de bide latent qui a attaqué à 9h30 pour me libérer sur les coups de 15h00.

Un après-midi, le patron m’a demandé de le suivre en cuisine pour m’apprendre à préparer le foie gras et à lever des saumons. Ce jour-là, il avait la gueulante un peu facile. Une technique de management pour certains, une petite baffe verbale pour moi. J’ai vite compris que j’allais devoir me blinder. En bref, c’est avec l’estomac bien accroché et un couteau serré entre les dents que je me suis lancée à corps perdu dans cette aventure en cuisine qui dura finalement plusieurs mois. 

Travailler dans la restauration m’a permis d’être au plus proche des clients et certains jours, je m’en serais bien passé. Le client est roi et le roi aime bien que l’on fasse ce qu’il demande, que ce soit pour une troisième corbeille de pain ou une carafe d’eau. « J’aimerais des cornichons avec mon foie gras », « Il y a forcément des lardons dans la quiche lorraine ? » « Vous n’auriez pas du ketchup ? » Et je ne vous parle pas de l’impatience… Au restaurant, nous étions tenus d’offrir un service attentif et courtois, en ayant toujours cette épée de Damoclès au dessus de la tête : la critique sur internet. Le ratio est simple : pour une une mauvaise appréciation, il en faudrait au moins 5 excellentes derrière. La moindre remarque ayant de quoi porter préjudice à une affaire en un rien de temps. Quoiqu’il en soit, dans la restauration on doit faire avec les humeurs de chacun (le courant d’air, la hauteur de la chaise, la proximité des toilettes, le bruit des travaux, ou encore l’ensoleillement…), le tout avec le sourire !

Après un premier mois de rodage, j’avais pris plus d’assurance dans cet exercice en immersion et tentais de proposer des plats un peu plus audacieux : gaspacho de pastèque, crème de fêta et sauce au persil ; tartine de melon et sardines citronnées relevées de baies roses… Je faisais ma tambouille à l’aveugle, libre, sans l’aval du patron.

Cette expérience en cuisine m’a permis de mieux comprendre le fonctionnement d’un restaurant à travers ses contraintes et sa réalité économique, au même titre que sortir le nez de son assiette pour regarder ce qu’il se passe en cuisine peut nous aider à mieux comprendre le fonctionnement de ces impressionnantes machines. Chacun doit être libre de donner son avis, et Yelp ou Trip Advisor vous tiendra toujours le crachoir si votre colère mérite vraiment de figurer sur la carte d’identité du restaurant… Mieux vaut tout de même tourner son clavier sept fois dans sa bouche avant de presser la touche « entrée ». En tout cas, n’hésitez pas à venir la fleur au fusil déposer vos plus jolis commentaires si un chef a su vous régaler, voire vous bouleverser. Critique culinaire ou non, ça lui fera toujours plaisir !

 

Journaliste
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Déborah Pham
Co-fondatrice de Mint et du restaurant parisien Maison Maison. Quand elle n’est pas en vadrouille, elle aime s’attabler dans ses restos préférés pour des repas interminables arrosés de vins natures. Déborah travaille actuellement sur différents projets éditoriaux et projette de consacrer ses vieux jours à la confection de fromage de chèvre à la montagne.
Illustratrice
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Zoé Lab
Zoé est designer graphiste et illustratrice freelance à Paris. Signe particulier : le noir de son trait qui négocie, à plein, les vides du blanc. Elle cultive un vif intérêt pour la narration courte et la mise en récit de son quotidien et de ce qui l'inspire.

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