Les champignons sauveront-ils le monde ?

Chaque année c’est la même chanson, les cèpes, giroles, et pleurotes font leur apparition dans les assiettes des restaurants et annoncent le passage à l’automne. Toutefois, le champignon n’attire pas que les promeneurs armés de paniers du dimanche, il fascine aussi les foodies accros aux adaptogènes, les survivalistes et les Japonais fortunés prêts à dépenser des sommes colossales en matsutake qu’on appelle aussi  « champignon de la fin du monde ». Pour jeter une lumière nouvelle sur celui que vous allez parfois payer très cher au marché, nous avons rencontré le pharmacien et auteur du livre Des Cueillettes et des hommes, Jean- Baptiste Cokelaer.
DP

Comment es-tu tombé dans le champignon ?

JB

Lorsqu’on étudie la pharmacie, on a une formation qui nous initie à la botanique et à la mycologie. En terminant mes études, j’ai martelé que jamais je ne cueillerai un champignon de ma vie, j’étais plus branché plantes sauvages. Je trouvais qu’il y avait trop de pièges avec le champignon : on peut se tromper, il y a un risque d’intoxication important, bref, ça me faisait peur. Peu après m’être installé près de la forêt du Bois-l’Évêque dans le Nord, mon ami Grégory m’a proposé d’emmener des gens en cueillette. C’est comme ça qu’il m’a mis le pied à l’étrier pour perpétuer une tradition orale qui se perd.

DP

Parmi tous les champignons que tu croises sur ta route, est-ce qu’il y en a un que tu préfères ?

JB

Difficile à dire… Ma madeleine de Proust c’est le cèpe de Bordeaux que je vais cueillir et que je ne ramènerai jamais à la maison car je l’aurai béqueté en chemin ! La semaine dernière j’ai trouvé un polypore soufré, celui qu’on appelle le « chicken of the woods » (le poulet des bois, ndlr). Une fois séché et broyé, son parfum rappelle les chicken wings ! On peut  s’en servir comme d’un condiment.

DP

Quelle est la règle numéro un lorsqu’on souhaite se lancer dans la cueillette de champignons ?

JB

Garder à l’esprit que le monde sauvage est impitoyable ! On a plus de 15 000 espèces de champignons en France. Il faut toujours observer le champignon dans son entièreté, de la tête au pied.. La plus grande qualité, c’est peut-être de savoir douter, souvent au premier coup d’œil on se plante. J’ajouterais qu’il faut préserver la ressource : si on veut que les champignons reviennent, faut pas se goinfrer. La forêt n’est pas un garde-manger, l’intérêt de la cueillette c’est aussi la sortie, partir à la conquête d’espaces sauvages qu’on a mis de côté au profit de centres commerciaux.

DP

Comment conseilles-tu de prélever un champignon dans les règles de l’art ?

JB

Il y a plusieurs techniques, pour la chanterelle en tube ou la girolle, il vaut mieux la couper pour éviter de ramener de la terre. Pour le cèpe de Bordeaux bien ferme, on préfère une méthode de torsion. On secoue un peu puis on entend « crac » quand il cède. Ensuite, on le taille au couteau comme un crayon pour enlever la terre et ne pas souiller son panier. J’insiste sur ce point car le champignon n’aime pas l’eau, il ne faut jamais l’immerger car l’eau entre dans les lames et après c’est foutu !

DP

Aussi, il vaut mieux privilégier les petits groupes plutôt que de sortir en meute…

JB

Oui, on n’organise pas une battue comme à la chasse. L’ennemi du champignon c’est le piétinement car il ne pousse jamais sur un sol dur. Le tasser à tour de rôle ne lui rend pas service.

DP

Est-ce qu’il existe encore de grosses rivalités concernant les « coins à champis » ?

JB

Bien sûr, d’autant plus qu’il y a des poussées de cèpes qui ne se font que tous les dix ans, si tu veux en trouver il vaut mieux avoir plusieurs coins à champignons ! Ensuite, il y a des règles toutes bêtes de propriété que le cueilleur du dimanche ne connaît pas car il existe des forêts domaniales et des forêts privées, on n’a pas le droit de se servir partout. Et même quand on fait bien les choses, on peut s’attirer les foudres de gens qui ne veulent pas voir de cueilleurs dans leurs coins ! Le chef Régis Marcon s’est déjà fait crever ses pneus alors qu’il est très respecté connaisseurs !

DP

C’est le cours du champignon sur les étals du marché qui crée de telles convoitises ?

JB

Oui, car il y a du pognon à se faire. Pour le dire franchement, les champignons qu’on croise au marché tirent souvent la gueule. Une fois prélevés, ces derniers doivent être consommés, vendus ou travaillés aussitôt avant de flétrir et sécher. Sur nos marchés, les champignons viennent souvent des pays de l’Est, on ne peut pas nier qu’il y a un sujet de radioactivité ! D’ailleurs, le nuage de Tchernobyl ne s’est pas arrêté à nos frontières et il faut garder à l’esprit que le champignon est une éponge, il capte autant de bons nutriments que de pesticides ou de métaux lourds.

DP

Comment préconiserais-tu de le consommer sans prendre de risques ?

JB

Il doit rester un condiment. Un champignon sauvage est forcément radioactif, il y aura toujours un peu de césium 137, désolé de te le dire ! De plus, tout le monde ne le digère pas de la même manière… Rassurons-nous, on ne prend pas de risques avec une soupe de champignons de Paris, mais de manière générale je recommande d’en consommer peu. Si tout le monde se faisait des grosses plâtrées de girolles, il n’y en aurait pas d’une année sur l’autre !

DP

On peut donc se consoler avec les champignons de culture… Mais est-ce qu’il serait possible de domestiquer les champignons sauvages ?

JB

On a déjà des champignonnières de shiitakés, de champignons de Paris ou de pleurotes… J’imagine qu’un jour on pourra tout faire en labo, mais certaines espèces resteront non domesticables, comme le matsutaké ! Ce champignon rend les gens complètement dingues, les Japonais en raffolent. Il a la particularité de ne pousser que sur des terrains malmenés ou surexploités… Il paraît qu’avant de le goûter, il faut surtout le sentir. On dit que sa dégustation provoque un choc sensoriel comparable à la truffe. Quand tu l’as senti une fois, tu t’en souviens toute ta vie !

DP

Il existe un ouvrage important à ce sujet, Le Champignon de la fin du monde : Sur la possibilité de vivre dans les ruines du capitalisme d’Anna Lowenhaupt Tsing qui raconte ce qu’il se passe économiquement avec ce champignon…

JB

Ce qu’il se passe dans les forêts canadiennes est gravissime, il y a des pillards qui viennent là car il y a du fric à se faire. Ils quadrillent la zone sur des centaines de kilomètres sans rien laisser aux locaux qui n’ont plus de boulot.

DP

Dans la liste des champignons particulièrement à la mode, il y a aussi les adaptogènes comme le cordyceps, le lions mane, le chaga ou encore le reishi qu’on retrouve même à la carte de coffee shops… Ils permettraient de lutter contre les maux du quotidien comme le stress ou la fatigue, comment tu perçois tout ça ?

JB

Ces champignons ont de nombreuses vertus. Le chaga ou le reishi sont utilisés dans la médecine traditionnelle chinoise qui s’y intéresse depuis des millénaires, en France et en Europe, on
est vraiment largué sur le sujet… Chaque champignon va avoir des propriétés différentes, qu’elles soient stimulantes, calmantes, aphrodisiaques… On leur prête des propriétés anti-cancéreuses et je n’aime pas trop parler de ça puisqu’on manque de recul. Il faut laisser sa chance au temps et à l’expérience. Peut-être qu’à l’avenir on aura des médicaments faits à partir du cordycep qui est vraiment extraordinaire. Il y a des vidéos sur YouTube qui montrent comment ce champignon réussit à prendre le contrôle du système nerveux de fourmis qui deviennent de vrais zombies ! C’est hallucinant et un peu flippant.

DP

Puisqu’on parle de champignons extraordinaires, on peut mentionner ceux qui poussent sur les bouses de vache ?

JB

Haha ! Oui, les champignons hallucinogènes poussent sur certaines bouses de vache, il y a des pelouses très réputées en France et on voit des gens débouler dans les pâtures. Il paraît que les Américains s’y intéressent pour soigner la dépression et certaines douleurs… On parle d’une forme de détachement du corps qui permettrait d’entendre les couleurs et voir les sons ! J’imagine qu’on va s’intéresser au microdosing de champignons comme on le fait actuellement avec le LSD. Je ne veux ni le dédramatiser, ni le stigmatiser mais selon moi il faut prendre tout ça avec des pincettes.

DP

Est-ce que tu penses que le métier de pharmacien pourrait vivre une sorte de retour aux sources ?

JB

Autrefois, le pharmacien était le professeur de sciences naturelles du coin. C’est lui qui étudiait les plantes, les insectes et les champignons. Quelqu’un d’attaché à la nature qui préparait des onguents et les tisanes. Au fil du temps, on a davantage mis l’accent sur la chimie mais la nouvelle génération s’intéresse de plus en plus aux méthodes naturelles comme l’aromathérapie. Les choses évoluent dans le bon sens et on ne se contente plus de vendre du Spasfon ou du Doliprane.

DP

Est-ce que tu crois que les champignons pourront sauver le monde ?

JB

Ils l’ont déjà fait par le passé, c’est grâce à la pénicilline qu’on a réussi à sauver une partie de l’humanité. Aujourd’hui, leur habitat est menacé, les forêts sont mal plantées avec des sapins canadiens à forte croissance qu’on coupe tous les dix ans pour en faire des meubles IKEA. Quand je pense que les gens font la gueule quand on coupe un chêne centenaire pour la cathédrale de Notre-Dame, tandis qu’on envoie chaque jour du bois français qu’on va traiter en Chine avant de revenir chez nous avec une empreinte carbone ahurissante. La clé d’une forêt saine, c’est de faire confiance aux gens de terrain. Concernant les champignons, je crois qu’on n’est pas au bout de nos surprises. On découvre aujourd’hui que certaines espèces permettent de produire du cuir, des vêtements ou même des briques et des isolants pour la construction. Je ne sais pas s’ils sauveront le monde mais ils font clairement leur maximum ! ●

-> Des Cueillettes et des hommes, par Jean-Baptiste Cokelaer aux Éditions de La Martinière, 39 € 

Magic Mushrooms

Every year, it’s the same story. Porcini, chanterelles, and oyster mushrooms make their appearance on restaurant plates, announcing the arrival of autumn. However, mushrooms don’t just attract Sunday strollers armed with baskets; they also fascinate adaptogen-addicted foodies, survivalists, and wealthy Japanese people willing to spend colossal sums on matsutake, also known as the « mushroom of the end of the world. » To shed new light on these fungi, which you sometimes pay a hefty price for at the market, we spoke with pharmacist and author of the book ‘Foraging and Men,’ Jean-Baptiste Cokelaer.

DP

How did you become interested in mushrooms?

JB

When studying pharmacy, we receive training in botany and mycology. When I finished my studies, I swore I would never pick a single mushroom in my life; I was more interested in wild plants. I thought there were too many traps with mushrooms: you can make mistakes, there’s a significant risk of poisoning… In short, it scared me. Shortly after settling near the Bois-l’Évêque forest in the North, my friend Gregory suggested taking people for mushroom picking. That’s how he got me started to perpetuate an oral tradition that is fading.

DP

Do you have a favorite mushroom among all the ones you encounter?

JB

It’s hard to say… My favorite is the cep mushroom, which I pick and never bring home because I always eat it along the way! Last week, I found a sulfur polypore, also known as the « chicken of the woods. » Once dried and ground, it tastes like chicken wings! It can be used as a condiment.

DP

What’s the number one rule when it comes to mushroom picking?

JB

Keep in mind that the wild world is ruthless! We have over 15,000 mushroom species in France. You should always observe the mushroom in its entirety, from head to foot… Perhaps the most important quality is to doubt; often at first glance, we make mistakes. I would add that we must preserve the resource: if we want mushrooms to come back, we shouldn’t overindulge. The forest is not a pantry; the interest of foraging is also the outing, exploring wild spaces that we have set aside in favor of shopping malls.

DP

How do you recommend properly harvesting a mushroom?

JB

There are several techniques; for the tube chanterelle or the girolle, it’s better to cut it to avoid bringing back soil. For a firm cep mushroom, I  prefer a twisting method.  Shake it a bit, then hear the « crack » when it breaks. Then, cut it with a knife like a pencil to remove the soil and not get our basket dirty. I emphasize this point because mushrooms don’t like water; they should never be submerged because water enters the gills and then it’s ruined!

DP

Also, it’s better to favor small groups rather than going out in a crowd…

JB

Yes, we’re not organizing a hunt. The enemy of the mushroom is trampling, because it can never grow on hard ground. Compacting it in turns doesn’t do it any favors.

DP

Are there still significant rivalries regarding the best mushroom spots?

JB

Certainly, especially since there are cep mushroom flushes that happen only once every ten years; if you want to find them, it’s better to have multiple mushroom spots! Then, there are simple rules of property that the Sunday picker doesn’t know because there are state forests and private forests; you can’t pick them everywhere. And even when you do everything right, you can attract the wrath of people who don’t want pickers in their spots! The chef Régis Marcon had his tires punctured even though he is a respected expert!

DP

Is it the market price of mushrooms that creates such coveting?

JB

Yes, because there is money to be made. Frankly, the mushrooms you find at the market often look bad. Once picked, they must be consumed, sold, or processed immediately before wilting and drying. In our markets, mushrooms often come from Eastern European countries; we cannot deny that there is a radiation issue! Moreover, the Chernobyl cloud did not stop at our borders, and we must keep in mind that the mushroom is a sponge; it absorbs as many good nutrients as pesticides or heavy metals.

DP

How would you recommend consuming them without taking risks?

JB

They should remain a condiment. A wild mushroom is inherently radioactive; there will always be some cesium-137, sorry to tell you! Furthermore, not everyone digests them the same way… Let’s reassure ourselves; there are no risks with a cream of button mushrooms, but generally, I recommend consuming them sparingly. If everyone indulged in large quantities of chanterelles, there wouldn’t be any left from one year to the next!

DP

So, we can console ourselves with cultivated mushrooms… But is it possible to domesticate wild mushrooms?

JB

We already have shiitake, button mushrooms, or oyster mushroom farms… I imagine that someday we will be able to do everything in the lab, but some species will remain undomesticated, like matsutake! This mushroom drives people completely crazy; the Japanese adore it. It has the peculiarity of only growing on abused or overexploited grounds… It seems that before tasting it, you should mainly smell it. It is said that its taste provokes a sensory shock similar to truffles. Once you’ve smelled it once, you remember it forever!

DP

There is an important work on this subject, ‘The Mushroom at the End of the World: On the Possibility of Life in Capitalist Ruins’ by Anna Lowenhaupt Tsing, which tells what happens economically with this mushroom…

JB

What is happening in Canadian forests is very serious; there are looters who go there for financial gain. They cover the area for hundreds of kilometers, leaving nothing for the locals who are out of work.

DP

In the list of particularly trendy mushrooms, there are also adaptogens like cordyceps, lion’s mane, chaga, or reishi, which are even found on coffee shop menus… They are said to help fight everyday ailments like stress or fatigue; how do you perceive all this?

JB

These mushrooms possess numerous beneficial properties. Chaga and reishi have been integral to traditional Chinese medicine for millennia. In France and Europe, our understanding of these mushrooms lags significantly behind. Each mushroom have different properties, whether stimulating, calming, aphrodisiac… They are attributed anti-cancer properties, though I don’t like to talk about it too much because we lack a bit of perspective. We must give it time and experience. Maybe in the future, we will have medicines made from cordyceps, which is truly extraordinary. There are videos on YouTube showing how this mushroom manages to take control of the nervous system of ants, making them real zombies! It’s amazing and a bit scary.

DP

Since we’re talking about extraordinary mushrooms, can we mention those that grow on cow dung?

JB

Haha! Yes, hallucinogenic mushrooms grow on certain cow dung; there are very renowned lawns in France, and people rush into the pastures. It is said that Americans are interested in them to treat depression and some pains… It’s about a form of detachment from the body that would allow hearing colors and seeing sounds! I imagine we’ll be interested in microdosing mushrooms like we currently do with LSD. I don’t want to trivialize it or stigmatize it, but in my opinion, you have to take all this with a grain of salt.

DP

Do you think the profession of pharmacist could experience a sort of return to its roots?

JB

In the past, the pharmacist was the local natural science professor. It was the pharmacist who studied plants, insects, and mushrooms. Someone attached to nature who prepared ointments and herbal teas. Over time, pharmacists have focused more on chemistry, but the next generation is increasingly interested in natural methods like aromatherapy. Things are evolving in the right direction, and we are no longer just selling Spasfon or Doliprane.

DP

Do you believe mushrooms could save the world?

JB

They have already done so in the past; it is thanks to penicillin that we managed to save part of humanity. Today, their habitat is threatened; forests are poorly planted with fast-growing Canadian fir trees that are cut every ten years to make IKEA furniture. When I think of how  people get upset when a hundred-year-old oak tree is cut down for the Notre-Dame Cathedral, while we send French wood every day to be treated in China before coming back to us with a staggering carbon footprint… The key to a healthy forest is to trust people on the ground. Regarding mushrooms, I believe we haven’t seen everything yet. We are discovering today that certain species can be used to produce leather, clothing, or even bricks and insulating materials for construction. I don’t know if they will save the world, but they are clearly doing their best!

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