Tout a commencé non pas dans une rose ou dans un chou, mais dans un pot de miel. À l’intérieur des petits contenants aux allures de diamants polis exposés dans sa boutique à deux pas de la Madeleine, se trouvent de précieux nectars. Récoltés aux quatre coins du monde par Alexandre Stern, ils font tourner la tête d’une poignée de chefs parisiens. Au total, ce sont près de 120 pays que cet épicurien friand de voyage a sillonné à la recherche de saveurs d’exception. Ne rechignant devant aucune curiosité culinaire qu’il lui a été donné de goûter, le grand brun au brushing impeccable se raconte dans L’Explorateur du goût.
En guise d’amuse-bouche, on s’envole pour l’Asie direction Séoul sur le plus vieux marché de la ville connu de tout foodie qui se respecte : le Gwangjang Market. «Pour comprendre les habitudes culinaires d’un pays, je démarre toujours par ses marchés et ses petits commerces de rue,» explique-t-il en montrant sa zone géographique sur la carte de son application mobile maps.me noircie de petits points rouges et verts. « J’aime bien pointer tous les endroits où je suis allé. Sa fonction hors ligne sauve des vie parfois ». Malin, même si on est presque déçu de ne pas avoir sous les yeux une mappemonde version papier usée de trop avoir été mal repliée. « S’il y a la queue devant les échoppes, c’est généralement bon signe ». Ça, tu l’as dit bouffi. Sur l’étal de sa première escale gastronomique, des aquariums où barbotent de drôles de petites créatures marines ressemblant fortement à des… pénis. « Je n’avais aucune idée de ce que j’allais manger. Était-ce une plante, un animal aquatique. Je le pointe du doigt pour qu’on me le serve. La personne plonge sa main dans l’eau pour attraper ce qui était en fait un gaebul aux prétendues vertus aphrodisiaques, que l’on appelle aussi poisson pénis ». Côté texture, une fois passé au wok, « on est proche du coquillage. Ferme et croquant » continue-t-il. On en a presque les papilles qui frétillent.
« C’est la première fois que je mangeais quelque chose qui bouge encore. C’est gluant, gélatineux, les mouvements de succions continuent. En les avalant, certaines tentacules peuvent s’accrocher dans la gorge, et on ne peut plus respirer »
Alexandre Stern
S’il peut se targuer d’avoir sillonné les deux Corée, et de s’être envoyé — amis des bêtes s’abstenir — une soupe de chien, que l’on voit parfois rôtir entier en broche, ou servi façon steak frites en plat du jour… Son fait d’arme reste tout de même le sannakji. Ou plutôt sa version badass. Pour ceux qui ne connaissent pas ce met traditionnel dont la dégustation a donné lieu à des vidéos horrifiantes devenues virales dans le monde merveilleux de l’Internet, il s’agit d’une petite pieuvre découpée vivante juste avant d’être servie en tartare ou en salade. « Imaginez vous, les tentacules continuant à s’agiter dans votre assiette, mais aussi dans la bouche», dit-il en rigolant. Jouant dans la cour des grands, Alexandre ne s’est pas contenté de ces morceaux riquiquis se trémoussant dans leur huile de sésame ou leur sauce gochujang. Cette pieuvre, il l’a gobée en entier. « C’est la première fois que je mangeais quelque chose qui bouge encore. C’est gluant, gélatineux, les mouvements de succions continuent. En les avalant, certaines tentacules peuvent s’accrocher dans la gorge, et on ne peut plus respirer ». Chaque année, en moyenne six Coréens meurent étouffés par un tentacule. Mais pour lui, braver la mort par amour du goût ça n’a pas de prix. « On a plus de chance de mourir écrasé par une voiture dans les rues de Séoul qu’en mangeant des pieuvres » ironise-t-il.
Dans son livre, il est d’ailleurs question d’un autre plat à tomber (raide) par terre, le fugu. Pour la petite histoire, le poison contenu dans les organes internes de ce poisson que seul l’empereur du Japon ne peut consommer, peut provoquer l’asphyxie s’il n’est pas cuisiné dans les règles de l’art. Uniquement servi aux tablées de chefs détenteurs d’un brevet spécifique, son prix peut atteindre plusieurs centaines d’euros. Soupe de chauve-souris, viande de serpent, insectes en tout genre crus comme séchés, «objectivement, que l’on croque dans un criquet ou une crevette n’a pas de grande différence. C’est là qu’on s’aperçoit que la cuisine est quelque chose de fondamentalement culturel. La première fois vous n’êtes pas à l’aise car vous n’avez pas l’habitude. Il faut savoir dépasser cette barrière ».
De son tour du monde des saveurs en 120 pays, notre Jules Verne de la gastronomie n’a réuni dans son livre — de 635 pages — que les aliments ayant un intérêt gustatif à ses yeux. « L’étoile de mer frite communément consommée sur le marché en Chine par exemple n’est pas un snack très exaltant, ce n’est que du cartilage, autant manger des chips». D’autres relèvent simplement de l’expérience comme l’ayahuasca qu’il a hésité à intégrer au bouquin. « C’est une boisson préparée à partir de lianes tropicales contenant une substance psychédélique consommée pendant des rites en présence d’un chaman. Une fois monté, on met au moins six heures à redescendre ». Un trip d’un autre genre en somme qu’il serait tenté d’essayer lors d’un prochain voyage au Pérou confie-t-il avant de conclure sur ces mots en fervent patriote. «À mon sens, quatre cultures culinaires sont allées sur une certaine forme d’excellence, le Japon, la Chine, l’Italie et la France. Il y a une diversité de terroirs incroyable chez nous qui pourrait se résumer au vin et au fromage». Cocorico !