Discussion au coin du feu avec deux fabricants de couteaux

Nous sommes assis dans la cuisine d’Arthur Forlin avec son ami Jacques Brunet. Arthur prépare du thé et pose un grand pot de miel sur la table en bois. On parle de Megève, de la nature et des couteaux qu’ils fabriquent dans leur atelier. La neige ne tombe plus depuis quelques jours et peine à accrocher aux arbres qui révèlent leurs couleurs.

Arthur nous montre sa collection qui vient d’un peu partout dans le monde. « Ça, c’est un couteau du Mont Joly, le manche est réalisé avec de la corne de chamois ». Le résultat varie en fonction de la découpe du bois. Arthur et Jacques fabriquent des manches en bois de renne ou de cerf qu’ils trouvent en forêt à la fin de l’hiver, quand débute la mue. Il leur arrive aussi de fabriquer des manches avec les ronces et l’écorce de bouleau ou en frêne… Toutes les extravagances sont permises : « Un jour ma femme a fait un osso buco et j’ai fait ce couteau avec les os ».

Jacques Brunet (à gauche) et Arthur Forlin (à droite)

Fabriquer des couteaux

Arthur nous montre un premier couteau dont la matière est lisse et claire. Il explique qu’on peut graver l’os en utilisant la technique du scrimshaw. Cette dernière était à l’origine utilisée par les chasseurs de baleines qui gravaient des dessins sur les os. Il s’agissait souvent de dents de cachalots ou de narvals qui avaient le malheur de tomber sur leur chemin. La gravure est faite à l’aiguille puis on donne de la couleur au dessin grâce à l’encre de Chine ou à la mine de plomb. C’est Jacques qui lui a appris à fabriquer des couteaux. Ce dernier est un vrai passionné : « Mes couteaux s’inspirent du travail des lapons qui ont une grande tradition coutelière. Ils utilisent souvent du bois de renne pour les manches de leurs couteaux. D’ailleurs les scandinaves s’inspirent eux aussi de cet art : les suédois sont très doués ». Les couteaux scandinaves doivent avoir la forme d’une truite avec le dos un peu bombé. On observe attentivement les illustrations gravées qui représentent le plus souvent des éléments de la nature ou encore des animaux.

Chacun utilise sa propre technique pour confectionner des étuis en cuir, le tout fait à la main. Arthur s’exclame : « On a toujours un couteau à la ceinture ! » On pourrait le regarder de travers sachant qu’une pince à épilée peut être considérée comme une arme dans certains aéroports, mais nous sommes à quelques mètres de la forêt et ici, le couteau n’est pas une arme. « C’est un outil pour nous, donc ça ne représente pas un danger, il n’y a rien d’agressif là dedans. Il n’est pas question de se balader avec un couteau en ville, mais chez moi je m’en sers, » explique Arthur.

Passons au métal, partie primordiale avec la lame et la soie (la partie cachée dans le manche, ndlr) maintenue par des rivets. Pour ses couteaux, Arthur utilise de l’acier de récupération comme des aciers chirurgicaux ou encore ceux provenants des anciennes remontées mécaniques. En tout cas, il n’utilise jamais d’inox. Et même si le métal a tendance à s’oxyder à force de couper des pommes, il suffit de le nettoyer de temps en temps pour qu’il soit comme neuf.

Les deux amis se sont rencontrés il y a une trentaine d’années et ensemble, il boivent de la sève de bouleau en fumant le cigare tout en parlant de la pluie, du beau temps

En plus de son atelier de menuiserie, Arthur s’est aussi construit une forge à côté de sa maison dans laquelle il chauffe au charbon pour permettre la soudure à chaud sur l’enclume. Il travaille l’acier moderne mais aussi le damas câble, une lame « feuilletée » qui demande beaucoup de temps. Cette technique nous vient directement des premiers forgerons de l’Âge de Fer, utilisée depuis plus de 3000 ans qui confère au couteau un aspect unique. Arthur explique : « En Europe, tout nous vient d’Asie. Nous, au Moyen-Âge, on se battait contre les anglais avec des arcs en bois alors que les asiatiques avaient déjà des arcs en composite. C’est là que les Vikings ont piqué les meilleures techniques ! »

Les vertus de la chasse

En plus d’être coutelier, Arthur est aussi garde-chasse. D’ailleurs les deux amis chassent ensemble et défendent une chasse honnête et utile. C’est-à-dire qui viserait les animaux âgés et surtout malades, afin de garder une population saine. Il y a longtemps qu’on ne trouve plus de loups ou de grands prédateurs dans ces forêts. En étant proches des bovidés parfois gavés d’antibiotiques, ils sont susceptibles d’attraper des maladies. Jacques chasse à l’arc, il se dit que de cette manière, les bêtes et le traqueur sont à armes égales. Il aime également la pêche qu’il pratique en Suède, en Finlande ou encore en Norvège depuis plus de quarante ans.

Le tourisme gagne encore du terrain au détriment de la nature puisque ces aménagements ont un impact considérable sur la faune et la flore. Compte tenu des milliers d’hectares déjà occupés par les pistes, la faune sauvage peine à se frayer un chemin entre les skieurs, les dameuses ou encore les câbles des remontées mécaniques.

Les deux amis se sont rencontrés il y a une trentaine d’années et ensemble, il boivent de la sève de bouleau en fumant le cigare tout en parlant de la pluie, du beau temps, et des problèmes que rencontrent les mégevans. En effet, Arthur Forlin est aussi connu comme un homme qui n’a pas sa langue dans sa poche. Ce dernier, en qualité de garde-chasse, n’hésite pas à taper du poing sur la table quand sa belle montagne est menacée. Avec la récente connexion faite entre deux domaines skiables, c’est toute une partie du Mont Joly qui s’est vu parsemée de remontées mécaniques et d’une nouvelle piste de ski.

Quand le tourisme gagne du terrain

Cette monopolisation du territoire se fait au détriment de la nature puisque ces aménagements ont un impact considérable sur la faune et la flore. Compte tenu des milliers d’hectares déjà occupés par les pistes, la faune sauvage peine à se frayer un chemin entre les skieurs, les dameuses ou encore les câbles des remontées mécaniques.

Comme il l’explique lui-même, les animaux ne savent plus où aller. Les oiseaux, les chamois et les chevreuils ne savent plus où trouver la paix pour hiverner. Dans un soupir, il ne manque pas de mentionner la part de responsabilité des touristes qui participent eux aussi au processus de pollution. En jetant leurs mégots de cigarettes et autres emballages au pied des télésièges, par exemple.

Il y a des gens que l’on n’oublie pas, qui nous marquent par leur intelligence et leur générosité. Arthur et Jacques sont tous deux faits de ce bois-là. Autour de cette table en buvant ce thé fumant, ils nous ont promis de nous faire découvrir un jour ces montagnes qu’ils connaissent si bien.

Journaliste
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Déborah Pham
Co-fondatrice de Mint et du restaurant parisien Maison Maison. Quand elle n’est pas en vadrouille, elle aime s’attabler dans ses restos préférés pour des repas interminables arrosés de vins natures. Déborah travaille actuellement sur différents projets éditoriaux et projette de consacrer ses vieux jours à la confection de fromage de chèvre à la montagne.
Photographe
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Marie Amélie Tondu
Marie Amélie est photographe et aime passer d'un domaine à l'autre : mode, nature-morte, portrait, food ou encore reportage. Elle réalise des images pour différents magazines et marques.

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