Café, woho, café (sur un air de Nolwenn Leroy)

La réponse à tous mes problèmes tenait en cinq lettres. Xanax. Pour arriver à affronter l’avion, la peur panique de la nouveauté, pour partir à l’aventure, il me suffisait donc d’être défoncée. Surtout pour traverser un océan direction New York. C’est donc la gueule en vrac (et accrochée à l’accoudoir) que je pars à l’assaut du monde. Découvrir une culture, parler une autre langue, me sentir dépaysée, avoir enfin accès à un ailleurs,
me mettre dans la peau d’un mec type écrivain globe-trotter, genre Hemingway (la barbe en moins. Quoique j’ai deux vieux poils au menton mais bon, c’est pas le sujet).

Une fois arrivée à New York en un seul morceau, tout me semble connu : j’ai déjà vu les rues dans les films, j’ai déjà parlé anglais dans mes rêves où je me prenais pour la Carrie Bradshaw du pauvre, je sais que Manhattan c’est beau et que Brooklyn c’est cool.

Mais surtout, je connais les cafés.

Putain de cafés. En ayant parlé à plusieurs personnes, je m’aperçois que la racine du mal vient peut-être des États-Unis. De Brooklyn. De cet enfer de la « déco type loft new-yorkais » qui remplit dorénavant pas mal de pages de Maisons du Monde. Le petit endroit sympa et instagrammable à souhait, avec les mêmes menus, les mêmes meubles, les mêmes personnes derrière le comptoir, la même playlist chill de Spotify où on se retape du Alt-J comme si on vivait encore en 2011. Tenus souvent par des trentenaires en reconversion d’un bullshit job (coucou les ex-community managers) et gérés par des étudiants en art, le modèle est dorénavant exploité à l’infini et a envahi l’Europe à la même vitesse qu’une plaque d’acné sur une joue adolescente à la veille des règles.

On sait desquels il s’agit : ces cafés qu’on photographie tous de la même façon et qui affluent sur les comptes Instagram d’influenceurs en quête de sens (mais pas vraiment d’inspiration). Ces mêmes personnes qui saoulent à prendre en photo des chats dans la mousse de lait alors qu’ils ne digèrent même pas le lactose.

Des cafés qui ont toujours du wifi (mot de passe : loveistheanswer2019) et dans lesquels j’ai glandé à Porto, Anvers, Paris, Edimbourg,
New York ou même à Tours et que je n’arrive plus à différencier dans mes souvenirs.

Reçoivent-ils un cahier des charges de la part d’une franc-maçonnerie secrète du café ? Une charte à suivre précisément, qui permet d’intégrer vaillamment le club et de pouvoir accueillir des mecs à « la recherche d’un espace sympa de co-working » ?

Je n’ai pas eu accès à la liste, mais elle me paraît aujourd’hui aussi évidente que l’absence de Victoria Beckham dans les Spice Girls : Le nom : il doit être court, et forcément en anglais, QU’IMPORTE L’EMPLACEMENT DU CAFÉ. Le coffee shop, qu’il soit en Corrèze ou à Brooklyn, c’est la même chose : Fox around the clock, Happy coffee…. Si il y a une référence littéraire ou un jeu de mots c’est cool, sinon on prend tout ce qui pourrait ressembler à un tatouage de hipster dessiné sous la forme d’origami (deer, fox, flower, triangle-je sais pas quoi joli…)

La taille : L’idée c’est pas de monter une deuxième Felicità hein ! Les propriétaires prennent souvent un petit local #cosy (mais toujours bien placé hein, genre dans le Marais ou dans le 18è, on s’installe pas chez les gros ringards non plus). De toute façon, il n’y a pas besoin  de beaucoup de place : il y aura toujours seulement quatre personnes qui squatteront des heures pour travailler sur leur projet de série télé  en story Insta, le reste des buveurs de kawa n’ayant JAMAIS LE TEMPS de prendre tranquillement leur boisson. Ils préféreront toujours emporter leur soy latte histoire d’avoir le temps de pitcher son nouveau storytelling pour des business angels (oui, c’est dans des endroits comme ça qu’on découvre tout le vocabulaire de la start-up nation). De là à dire que ce sont ces mêmes personnes qui achètent Feed, la bouffe à boire pour les gens qui N’AIMENT PAS LA VIE, il n’y a qu’un pas.

La sélection : Oui, c’est comme ça qu’on dit quand il n’y a que dalle à la carte. Du coup, il y a un café en quatre-cinq versions différentes (si tu sais d’ailleurs ce qui sépare un crème d’un café au lait, écris à la rédaction qui transmettra), une infusion chicos (ma pote a bu une fois un ‘Aux Temps des Tsarines’ NON MAIS SÉRIEUX), un chai latte et des limonades expérimentales, aussi chéper qu’un concert de musicologues à 16h dans un des squats du 20è. Avec de la chance, t’as des smoothies (« Whoah j’ai jamais pensé à associer Fenouil et Kiwi » BAH TU M’ÉTONNES LA RÉPONSE EST DANS LA QUESTION) et sur la table, y a toujours une belle carafe avec de l’eau de concombre. Ou de l’eau de citron. Ou de l’eau de citron-concombre. Faut s’hydrater, tout le monde le sait, c’est précisé dans les morning routines.

La déco : D’après ma petite enquête de journaliste de terrain, il doit y avoir des couleurs obligatoires. Alors déjà, la majeure ça doit toujours être le blanc, et puis après on peut un peu improviser mais pas trop. On adore : le vert d’eau, le bois clair, le carreau blanc du métro,  le marbre, le terrazzo, et si on est foufou on se lance aussi dans le carreau de plâtre mais faut y aller mollo sur le motif parce qu’en 2019, on est persuadé que ça provoque des fractures de l’œil (et vu que personne n’a de mutuelle parce qu’on est tous auto- entrepreneurs, ça serait dommage qu’un accident survienne).
Chez certains, on a du retard sur les tendances (qui vont, il est vrai, toujours vite, un peu comme un chargé de projet shooté au café), on trouve encore des chevrons et du street art mais je pense que ces personnes là seront bientôt sanctionnées par la police de la hype. On pourra pas dire que j’ai pas prévenu.

Le prix : Tu vois le tarif normal que tu paierais pour un allongé ? Bah pile un peu plus pour que tu aies l’impression que ton café a été torréfié selon le respect de la rétrograde de Mercure. Mais par contre, pile assez pour que toi, tu te dises que tu te fais un petit cadeau dans ta vie de personne qui a le temps pour rien. Ohlala, ce frappucino et ce petit cookie aux noix de pécan tout blindé de beurre, c’est vraiment « se faire du bien à soi » quoi, comme quand tu claques 80 balles pour une détox au charbon.

Le public visé : Moi. Et les gens comme moi. Bah ouais, qu’est ce que vous voulez. Ça marche. J’ai déjà dépensé 6 euros dans un financier à la noix de coco. Et mes yeux clignotent quand je vois le terme matcha. What a bouffonne hein ? Mais au lieu de juger, n’hésitez pas à mettre des pouces sur mes photos, que je me tape pas 8000 bornes défoncée pour que dalle. Moi aussi je dois animer ma communauté.

Journaliste
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Marine Normand
Marine travaille à la Gaîté Lyrique à Paris mais écrit aussi pour SoFilm, Mint et pour elle, comme toute trentenaire qui se respecte. Elle aime aussi promener son chien, faire la chenille et donner son avis.
Illustratrice
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Manon Rousseau
Manon est illustratrice. Son trait évoque aussi bien son goût prononcé pour la bande dessinée asiatique que la naïveté des dessins d'enfants, créant un univers nonchalant et insolent. Elle ponctue le tout d'un humour subtil et décalé.

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