Autoban, le studio de design qui réinvente l'espace

À mi-chemin entre Byzance et le futur, le studio pluridisciplinaire Autoban file à pleine vitesse sur l’autoroute, pendant que la radio égrène la chanson du même nom de Kraftwerk. Fondé en 2003 par le duo turc Seyhan Ozdemir et Sefer Caglar, qui se sont rencontrés sur les bancs de l’école des Beaux-Arts Mimar Sinan à Istanbul, Autoban est un incontournable stambouliote.

Leur réputation établie leur vaut d’avoir transformé une multitude de lieux et d’espaces publics au sein d’Istanbul et au-delà des frontières comme à Londres ou Hong Kong. Ils ont à leur actif des cafés, des restaurants, des hôtels ou un encore un aéroport.

Les signes sont souvent plus forts que les mots, c’est pourquoi le design est un langage universel, grâce auquel Autoban invente son propre dialecte visuel, compris par chacun et chacune. À noter que le nom
d’Autoban est quasiment un signe graphique à lui seul, évoquant ainsi le voyage, les différentes voies, les choix que cela engendre, et les occasions qui se présentent comme autant de rencontres et de bretelles d’autoroute.

Ce qui est immuable dans l’approche du design et de l’architecture par Autoban est son désir d’inventer des histoires, au travers d’espaces qu’ils envisagent comme des scénographes: chaque volume est conçu comme
un ensemble, et toute partie est considérée comme un tout. Autoban s’ingénie à améliorer des lieux de vie ou de passage afin d’offrir aux gens des espaces desquels ils deviendront les acteurs. Vus comme des décors, les espaces sont le point de départ de l’histoire, qui est intrinsèquement liée au contexte social et culturel du lieu. Chacun y joue ensuite sa propre pièce.

Les signes sont souvent plus forts que les mots, c’est pourquoi le design est un langage universel

Enfant du Bauhaus et d’une esthétique orientaliste, Autoban pense la conception, tant design qu’architecturale, en vue de son utilisation humaine et n’envisage pas l’esthétique au détriment de la fonctionnalité et de l’expérience. Autoban insuffle de la vie à ses réalisations, grâce au choix des matériaux naturels et en confiant leur production à des artisans locaux. Bien qu’il ne soit pas directement inspiré par Istanbul, le duo n’en reste pas moins imprégné du multiculturalisme de la ville, et se dévoile au travers de certains projets leurs influences turques. Ainsi le pattern donne du rythme à l’espace, texturise les surfaces, et dialogue avec des volumes plus épurés.

Autoban mêle à la perfection passé, présent et futur, si bien que nous ne pouvons les situer sur une frise chronologique, sautant sans cesse au travers de l’espace-temps. En ce sens ils sont atemporels, et Seyhan Ozdemir (cofondatrice d’Autoban) nous le confirme, « c’est ce qu’ils visent », car c’est un langage bien plus puissant. Ce juste dosage, entre souvenirs, références au passé qu’ils réinterprètent en vue de la contemporanéité, et modernité prouve leur pertinence et leur légitimité au sein de notre époque. Le travail du studio de design Autoban est à taille humaine malgré l’ampleur de certains projets. Car il témoigne d’un profond respect envers l’humain, placé au centre de leurs considérations.

Mint

Quel est votre processus de création?

Seyhan Ozdemir

Avant les grands concepts et les fioritures, doivent toujours précéder les principes fondamentaux d’une bonne conception : chaque aspect a-t-il été pleinement considéré ? Fait-on le meilleur usage possible de sa situation, son histoire et de son avenir ? Parvient-on à l’intégrer à son environnement, son quartier et sa communauté? Nous essayons tout d’abord de comprendre et de trouver les réponses justes à ces questions, ensuite nous pouvons débuter la conception en conséquence. Peu importe l’ampleur du projet, nous démarrons avec une vision d’ensemble et nous nous autorisons à concevoir de grandes idées. Mais nous considérons aussi méticuleusement les moindres détails.

Photo : Sergio Ghetti
Mint

Quelles sont vos sources d’inspiration?

Seyhan Ozdemir

La vie elle-même est une bonne source d’inspiration. L’observation est notre maître-mot.

Mint

Qu’est-ce qui vous différencie des autres studios de design ?

Seyhan Ozdemir

Multiplicité de la conception, singularité de l’expérience. Dans notre travail nous fusionnons le fondamental et l’expérimental, l’humain et l’espace, la pratique et la philosophie, le micro et le macro. En définitive, chacune des créations d’Autoban offre une expérience singulière, quelle soit mémorable, plaisante ou surprenante, à tout ceux qui la rencontrent, ou encore l’habitent.

Mint

Quel est le plus important: la forme finale ou l’émotion et la fonctionnalité ?

Seyhan Ozdemir

Avec Autoban, nous avons une approche du design multidisciplinaire depuis plus d’une décennie. Notre travail englobe les objets design, le design intérieur et l’architecture. Pour chaque objet ou projet, notre objectif est d’ajouter de la valeur à la vie des hommes, autant dans leur environnement formel que les perceptions émotionnelles que l’on en a. Nous sommes convaincus que ce que nous créons peut aider les gens à se rendre où ils doivent aller, à réaliser ce qu’ils doivent faire. Ce que nous concevons doit fournir de la solitude ou de l’interaction, du répit ou de la stimulation, ou tout cela en même temps. Avoir un effet positif sur ceux qui les habitent, les visitent, les traversent, est notre raison de faire ce que nous faisons. Nous célébrons la forme, améliorons la fonction, enrichissons l’expérience en favorisant des interactions inoubliables entre les conceptions et leurs utilisateurs.

Mint

Plutôt rich detail ou less is more ?

Seyhan Ozdemir

Moins c’est toujours plus et la richesse des détails fait toujours la différence.

Mint

Travaillez-vous comme des réalisateurs de film ?

Seyhan Ozdemir

Lors de la conception des espaces nous travaillons exactement comme des réalisateurs. Premièrement nous créons le scénario puis nous entreprenons la conception des détails, en tenant compte du facteur humain. Afin de créer une histoire complète de A à Z, grâce à la puissance du design… Alors oui, pour nous les espaces sont des sortes de décors, mais dont l’usage est permanent.

Mint

Comment réconcilier l’homme à son espace public ?

Seyhan Ozdemir

L’homme est au centre de nos préoccupations. Nous plaçons ses besoins et ses nécessités au cœur de nos décisions et nous essayons, au travers de ce que l’on crée, de lui offrir une expérience inédite qui puisse enrichir sa vie.

Mint

Est-ce important que vos objets portent en eux les gestes des artisans ?

Seyhan Ozdemir

En Turquie, les designers ne sont pas encore aussi chanceux que les designers européens face au manque de soutien de la part de l’industrie envers la création. C’est l’un des plus gros désavantages de travailler ici en tant que designer, surtout quand tu es un nouveau venu. Il n’y a aucun endroit qui accepte de produire ton premier prototype, sans parler de signer un contrat avec une manufacture pour ensuite parvenir à le distribuer. Mais d’un autre côté, nous sommes heureux d’avoir des ateliers locaux à deux pas de chez nous. La location de notre premier bureau était à Galata, un quartier historique d’Istanbul dont l’atmosphère est authentique… Nous sommes restés à peu près dans la même zone. Notre emplacement privilégié nous a
permis au fil du temps de comprendre l’artisanat et les techniques industrielles locales, et dans un sens ce désavantage de ne pas avoir l’appui de l’industrie se mue en avantage si on considère l’habileté des artisans et la qualité que ces ateliers locaux nous permettent d’avoir. Nous nous sommes débrouillés pour que nos réalisations soient encore faites à la main, et tenues éloignées de la production de masse et c’est finalement devenu la marque de fabrique d’Autoban.

Mint

Comment parvenez-vous à jongler entre héritage traditionnel et modernité ?

Seyhan Ozdemir

Au fil des siècles, Istanbul a abrité plusieurs cultures. En tant que designers ayant été élevés et vivant encore dans cette ville, nous avons la chance de nous imprégner de ce multiculturalisme, autant architectural que social. Nous respectons profondément les richesses historiques de la ville, et nous éprouvons une excitation démesurée face à la modernisation. Donc ce n’est pas une tentative, mais une voie naturelle pour nous de les combiner tous les deux dans notre travail. Nous ne pouvons faire table rase du passé et nous focaliser uniquement sur le nouveau, comme nous ne pouvons seulement vivre dans le passé. C’est ce que nous avons appris de nos expériences. Tout comme nous respectons nos valeurs et nos traditions, nous avons besoin de nouveaux bâtiments et de nouveaux designs, pour offrir quelque chose d’unique, quelque chose qui nous fera avancer.

Journaliste
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Julie Thiébault
Julie a plusieurs casquettes, et celle qu’elle préfère porter lui permet de découvrir, de réfléchir et d’écrire. Son joyau magique est son intuition.

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