Un homme sans moustache c'est comme une maison sans balcon

 

 

Dans le monde, la barbe et la moustache sont souvent perçus comme les symboles de la virilité. En Turquie, si certains poils sont boudés, cachés, voire épilés méticuleusement, d’autres sont vus comme la signature de la masculinité. Ici, l’apparat par excellence, c’est la moustache.

Si l’on vous disait qu’en Turquie, votre façon de porter la moustache peut en dire long sur vos opinions politiques ou vos croyances ? On pourrait même aller plus loin en vous disant qu’un vrai professionnel pourrait se servir de cette coquetterie pour en savoir davantage sur votre personnalité ou votre statut social. 

Une moustache épaisse et bien taillée au-dessus de la lèvre est appelée « sünnet », un attribut pieux qui suit les préceptes de l’Islam. Une petite moustache rasée et taillée à un centimètre au-dessus de la lèvre renvoie au parti néo-islamiste représenté par le président actuel Recep Tayyip Erdogan. Une moustache pendante de chaque côté de la bouche et qui remonte légèrement en pointes tels des « crocs de loup » rappelle Gengis Khan. Elle est le signe de rattachement au parti nationaliste MHP, on appelle ses partisans les « loups gris ». Encore aujourd’hui, dans certaines régions de Turquie, porter cette moustache peut ouvrir des portes. Certains vont même jusqu’à se laisser pousser ces moustaches de « loup gris » pour faciliter certaines démarches administratives. Une moustache bien fournie qui attaque le bord de la lèvre supérieure, dite « à la Staline » fait penser à un intellectuel de gauche et signe son adhésion à des idéologies socialistes voire communistes. Cette dernière rappelle aussi une moustache désuète un peu vieux-jeu. 

Grâce à la série télévisée Le Siècle magnifique qui fait un tabac en Turquie, c’est la moustache aux pointes qui frisent dite « à l’ottomane », qui rappelle parfois la nostalgie de l’Empire Ottoman et attire surtout les jeunes hipsters turcs qui cherchent à ressembler à l’acteur principal de la série jouant Soliman le Magnifique. Si les poils ont le chic pour communiquer toutes ces informations, il peuvent devenir muets à une époque ou la pilosité faciale est le symbole d’une génération branchée. Car en plus de dessiner le visage comme un tableau, la moustache confère aux hommes de l’assurance lorsqu’ils déambulent dans les rue d’Istanbul. Parfois, les symboles et leur signification sont noyés sous l’esthétique.

Autrefois, les hommes avaient peu d’espoir de trouver une compagne sans cet attribut qui représente à la fois la force et la virilité, mais dans les années 90 la moustache est devenue ringarde, les jeunes ne voulaient plus la porter jusqu’à très récemment. Si la barbe est à la mode de nos jours, la moustache n’est pas en reste puisqu’un véritable business autour du poil se développe. On compte en Turquie plus de 250 chirurgiens spécialistes de la greffe de moustache avec des forfaits à partir de 1500 euros pour une opération de quatre heures. Ce savoir-faire attire non seulement les turcs mais surtout une clientèle internationale prête à prendre l’avion pour s’offrir une moustache parfaite. Raison de plus pour les cabinets de se mettre au diapason en proposant des packs all-inclusive hôtel et moustache pour ses clients venant principalement du Moyen-Orient. Les dépenses ne s’arrêtent pas là puisqu’un véritable budget sera à prévoir ensuite pour entretenir sa moustache chez un barbier professionnel, environ une fois par semaine pour 5 euros. Ce métier aussi se développe actuellement malgré son image surannée. On en trouve plus de 1000 actuellement à Istanbul. Et le glabre dans tout ça, qu’en est-il des hommes qui ne portent pas la moustache ? Quand la moustache symbolise la virilité et l’attachement à la tradition ottomane, le glabre représente le « moderne », l’Occident. À ce titre, dans les années 90, des personnalités politiques avaient rasé leur moustache  en signe de « modernité » au moment de l’accession au poste de premier ministre de Madame Tansu Ciller.

Victime de la mode, la moustache tend à perdre de son essence et ferme toute possibilité d’interprétation puisqu’elle est de plus en plus portée par la jeunesse turque pour des raisons esthétiques. Coquetterie ou signe communicatif, le dicton turc n’en perd pas pour autant de son sens. Un homme sans moustache c’est comme une maison sans balcon.

 

Journaliste
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Déborah Pham
Co-fondatrice de Mint et du restaurant parisien Maison Maison. Quand elle n’est pas en vadrouille, elle aime s’attabler dans ses restos préférés pour des repas interminables arrosés de vins natures. Déborah travaille actuellement sur différents projets éditoriaux et projette de consacrer ses vieux jours à la confection de fromage de chèvre à la montagne.
Illustratrice
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Sophie Della Corte
Sophie est graphiste et illustratrice indépendante. Elle aime explorer dans son travail des paysages ambivalents, évoquer des récits dont les contours laissent libre cours à l'interprétation.

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