Mory Sacko, bouillon de cultures

Dans la vie, il y a des noms qui vous portent plus que d’autres. Pour son premier restaurant à tout juste 27 ans, Mory Sacko a fait le choix audacieux de fusionner son propre prénom avec celui d’une figure forte, celle d’un samouraï. Le premier guerrier noir d’origine africaine de l’histoire du Japon, surnommé Yasuke. Peint en lettres d’or sur la devanture de cette nouvelle table du 14ème arrondissement de Paris, voici l’avènement de MoSuke qui affiche complet depuis son ouverture. Dans les cuisines de la jeune toque, de la France à l’Afrique de l’Ouest jusqu’aux confins de l’Asie de l’Est, il n’y a qu’un plat.

S’il n’a pas connu le baisser de rideau imposé à ses pairs lors du premier confinement en accueillant ses tous premiers gourmets début septembre, Mory Sacko avait déjà élaboré son plan d’attaque en cas de retour d’un second confinement. « On l’a senti arriver dès l’annonce du couvre-feu dans la capitale. La première semaine, afin de conserver l’offre gastronomique, nous avons décalé le service du soir à celui du midi » dit-il. Lunch is the new dinner, le déjeuner est  le nouveau diner, devient le cri de ralliement de tous les restaurateurs s’adaptant à ce drôle de rythme. À l’heure du déjeuner en octobre dernier, il était encore possible de s’offrir à sa table un « vol de nuit » en sept escales. On s’envolait pour le pays du Soleil-levant avec le homard breton grillé au charbon de bois japonais binchotan, dont la douceur du miso à la tomate venait éteindre le feu de sa bisque au piment doux fumé. Ou encore pour l’Afrique de l’Ouest avec sa sole aux épices shichimi togarashi cuite en feuille de bananier, posée sur son lit d’attiéké et de feuilles de livèche.

À l’heure du dîner, c’est l’alter-ego de MoSuke qui prend le relais avec une alternative street-food disponible en click and collect et en livraison à domicile, MoSugo. « J’imaginais difficilement un gastro à emporter. Les émulsions ne tiendraient pas le transport et les cuissons à finir à la maison ne seraient certainement pas aussi maîtrisées qu’au restaurant. Cet été, je réfléchissais à l’ouverture future d’une seconde adresse plus décontractée avec le même ADN, nous étions donc prêts à dégainer ». 

J’imaginais difficilement un gastro à emporter. Les émulsions ne tiendraient pas le transport et les cuissons à finir à la maison ne seraient certainement pas aussi maîtrisées qu’au restaurant. Cet été, je réfléchissais à l’ouverture future d’une seconde adresse plus décontractée avec le même ADN, nous étions donc prêts à dégainer. 

Mory Sacko, chef

Sur Instagram, il annonce le lancement de son fast-good avec un menu composé de lèche-doigts de l’entrée au dessert. Poulet frit avec chapelure japonaise panko et sésame, sauce bulldog; frites de patates douces épices cajun; barre chocolatée avec ganache de chocolat de Tanzanie au piment doux fumé, cacahuètes et caramel au beurre salé… De quoi nourrir nos envies de réconfort. « Il est amené à changer tous les dix jours, nous sommes actuellement sur l’élaboration du prochain » ajoute-t-il. Bouillon dashi, algues Kombu, soja et julienne de daikon; chirashi de riz vinaigré au furikake (un condiment japonais, ndlr), tranches de poisson frais selon l’arrivage et légumes marinés; crémeux au thé vert genmaicha sur une compotée de poire. Les commandes se multiplient, la machine est lancée.

À peine arrivé au mois de novembre, le reconfinement signe l’arrêt provisoire de MoSuke. L’équipe en salle passe au chômage technique. Les réservations sont repoussées à compter du mois de février. Sur le front du matin au soir, cinq jours sur sept, c’est la brigade en cuisine qui fait tourner MoSugo. « Avec la coupure entre les envois du midi et du soir, les journées sont plus denses mais moins longues. À 21h30 tout est plié. À 22h tout le monde est rentré. Cela me permet de récupérer et de penser de nouveaux plats », s’enthousiasme-t-il. Son obsession du moment : réaliser un dessert équilibré autour de la pomme et de la sauce teriyaki. 

L’Afrique tout Asi-mutée

Cet éternel optimiste à l’énergie créative débridée ne se décourage pas. Pas même face au retour mitigé de sa maman sur la variation de son poulet yassa lors du soft-opening de MoSuke dont il a revu la recette quatre fois depuis. « Elle trouvait qu’il y avait trop de citron et que la sauce n’avait pas mijoté assez longuement », confie-t-il en riant. Dans la famille de Mory, né à Champigny-sur-Marne d’un père malien et d’une mère sénégalo-malienne, la cuisine a une place importante. « On se retrouvait tous autour d’un plat unique que l’on mangeait ensemble avec les mains selon la tradition. Je n’ai pas appris à préparer ces plats typiques étant plus jeune car mon apprentissage culinaire a démarré à l’école hôtelière avec le terroir français. Il m’arrive donc très fréquemment de demander des précisions à ma mère, et ce n’est pas chose aisée car rien n’est écrit, tout se fait à l’œil et à l’instinct ».

Soupou Kandja, alloco, attieké, poisson frit, ou braisé, sont autant de mets aussi chers à son cœur que le mafé dont il propose également une interprétation à sa table. « Toutes les saveurs de cette sauce explosent une fois la dissolution complète de la pâte d’arachide. Lorsque je lui demande à quel moment de la cuisson précisément, elle me répond « quand l’huile sort ». Je la regarde interloqué en rigolant. J’observe la sauce de plus près, l’excès du gras se disperse effectivement sur les bords puis elle me dit « c’est à ce moment là que tu baisses le feu ». Une de mes grandes sœurs aussi adorait préparer des salades de mangues salées. Elle ajoutait du citron, un oignon émincé et des noix de pèbè. Ma mère adepte de cuisine  plus traditionnelle était dépitée », s’amuse-t-il.

Son palais affûté aux saveurs de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique centrale de par sa mère ayant beaucoup voyagé sur le continent, se familiarise progressivement à celles du Japon. « Petit j’étais passionné par les mangas. Dans chaque épisode, les personnages passent leur temps à slurper des ramen ou à dévorer des tonkatsu entre deux combats ». Des premiers sushi et udon aux soba et karé raisu partagés entre potes, le voilà conquis. Plus tard, dans les rangs de la brigade du Mandarin Oriental, il rencontre des amis d’origine japonaise qui lui permettront de percer le secret de l’umami. « Jamais aucun ingrédient ne prend le dessus sur un autre, tout est subtilement balancé », avance-t-il.

Petit j’étais passionné par les mangas. Dans chaque épisode, les personnages passent leur temps à slurper des ramen ou à dévorer des tonkatsu entre deux combats

Mory Sacko, chef

Passé par les cuisines de prestigieux palaces parisiens du Royal Monceau à l’hôtel du Collectionneur en passant par le Shangri-La, celui qui deviendra second de Thierry Marx à l’âge de 25 ans a  trouvé  son ikigai. Sa raison de vivre. Ouvrir son propre restaurant qui transcendera les frontières de l’Europe, de l’Afrique et de l’Asie. Un passage remarqué dans Top Chef lui permettra de concrétiser ses années de dur labeur. Alors que la capitale retrouve, l’été dernier, le plaisir de repas partagés en terrasses ensoleillées, Mory Sacko compose la carte d’Edo, résidence éphémère au Palais de Tokyo. Classiques de la street-food japonaise et d’Afrique de l’Ouest se rencontrent. Katsu sando de bœuf pané sauce arachide et tamarin; agneau grillé façon dibi sogo, oignons et mayonnaise au miso… On entre dans son univers métissé par la petite porte avant qu’il ne réveille le sud de la rive-gauche avec MoSuke. 

Des terroirs en majesté 

C’est en lieu et place d’un ancien étoilé que la jeune toque façonnera l’ADN de sa première adresse à son image. Dans les assiettes travaillées avec finesse par la céramiste Amandine Richard, les produits d’exceptions issus de la crème des producteurs français, japonais, et africains, sont travaillés avec précision. « Les volailles proviennent de la Ferme de Culoiseau dans le Perche ». Pour les agrumes, ayant une place importante dans sa cuisine, il travaille essentiellement avec Damien Blasco dont les vergers regorgent de variétés folles. « Les piments viennent des jardins de Pierre Gayet, son côté savant fou me fascine. Il crée ses propres croisements afin de maîtriser l’intensité de leur feu en bouche. J’apprécie particulièrement l’aji mango aux notes de mangues intéressantes, et l’aji dulce rouge, et jaune, qui vont développer une sucrosité étonnante une fois fermentés. Ses biquinhos blancs sont de véritables bonbons ».

Pour ses paniers de légumes japonais, c’est auprès de la créatrice du Potager vertueux Yasai qu’il se fournit. « Je voue également une passion aux épices africaines. Comme la baie de Selim qu’on appelle aussi poivre de Guinée, la kororima, cousine de la cardamome qu’on retrouve sur la Corne de l’Afrique, et les graines de la passion aux arômes proches du fruit associé au piquant du poivre. Cette recherche de l’excellence du terroir, il la pousse jusque dans sa sélection de vins naturels sud-africains et français, ainsi que dans sa sélection de sakés élégants au nez fleuri, et d’autres plus exubérants. 

J’ai été touché par le retour de deux clients un soir. Une journaliste japonaise heureuse de retrouver les saveurs de son enfance et un restaurateur ivoirien me faisant part de son agréable surprise face à certains produits afro qu’il redécouvrait à travers mes plats. Ça me rassure de savoir que je suis dans le vrai

Jouer sur les différentes textures et cuissons, pousser les limites de certains condiments à l’exemple du wasabi en dessert mêlé à l’amertume du cacao en siphon aérien, adouci par une ganache chocolatée à la fleur de sel fumé… Chacun y trouve son compte. « J’ai été touché par le retour de deux clients un soir. Une journaliste japonaise heureuse de retrouver les saveurs de son enfance et un restaurateur ivoirien me faisant part de son agréable surprise face à certains produits afro qu’il redécouvrait à travers mes plats. Ça me rassure de savoir que je suis dans le vrai », lâche-t-il. Consacré « jeune talent 2020 » par le Gault et Millau, Mory Sacko, toque déjà bien affûtée, se réjouit des retours positifs de ses pairs, et de la diversité d’âges et de milieux sociaux des gourmets venant s’attabler chez MoSuke. « J’ai la chance d’avoir une clientèle qui me ressemble, l’entretenir est un véritable jeu d’équilibriste ». Pour l’heure, on ne peut lui souhaiter que le meilleur. 

-> www.mosuke-restaurant.com

Article dans retrouver dans Mint#21

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Anouchka est journaliste chez Mint Magazine. Passée dans les colonnes de L'Express Styles, du Parisien, de Néon, et de Bon Temps elle arpente les rues à la recherche de nouvelles tendances lifestyle.
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