Fuck fast fashion (« j’emmerde la fast fashion » en anglais, ndlr) se dessine sur un t-shirt en coton blanc entouré de dauphins portant des chapeaux de cowboys. Derrière l’humour et la légèreté, Maison Cléo représente surtout une marque engagée qui ne fait rien comme les autres. Créée par Marie Dewet en 2017, la marque naît presque sur un malentendu alors qu’elle poste ses premières créations cousues par sa mère Nathalie, dite Cléo. « J’ai acheté de la soie jaune or et je lui ai demandé de me faire un débardeur avec des bretelles spaghetti, un modèle tout bête à porter avec un jean. Très vite, j’ai eu tant de demandes que j’ai créé un autre compte dédié à la marque, ainsi qu’un site pour la vente en ligne. »
#FFF, Fuck fast fashion
Marie n’a jamais voulu se lancer dans la mode, au départ sa démarche vient du refus de consommer ce que la mode avait à lui offrir : « J’ai étudié la communication et j’ai fait beaucoup de stages et d’alternances dans ce secteur. J’ai été écoeurée par ce que j’ai vu et je n’ai plus eu envie de porter ces vêtements. J’ai réalisé que même les marques que j’aimais et qui revendiquent le fait de produire à Paris, le faisaient dans des ateliers en sous-sol, dans des conditions très discutables. Ce n’est pas l’image que j’avais du made in France. J’ai aussi vu l’envers des prix, les marges pratiquées sur des matières synthétiques, même chez les marques les plus prestigieuses. De plus, je pensais que les pièces étaient coupées à la main mais tout est fait par des ordinateurs et des machines. » Sa mère Nathalie coud et retouche des vêtements à Calais. Si elle a accepté d’accompagner sa fille dès ses débuts, Marie admet qu’elle n’adopte pas vraiment le style et la philosophie de la marque : « Selon moi c’est un truc générationnel et c’est pareil pour les mères de mes amies qui peuvent parfois s’habiller chez des marques de merde, parce que c’est une génération qui ne s’est pas posée de questions à l’arrivée des marques de fast fashion qui produisent dans des conditions déplorables. Ce sont les jeunes qui se posent des questions, et se rendent compte des problèmes dramatiques causés par cette façon de consommer. J’engueule ma mère de temps en temps, mais je sais qu’elle ne pense pas à mal quand elle rentre avec un pull Camaïeu à 35€. En général je lui demande juste de regarder l’étiquette pour qu’elle se rende compte que le truc a été fabriqué au Bangladesh. »
Ce qui me gêne, ce n’est pas tant l’utilisation de matières synthétiques mais plutôt les marques de luxe capables de vendre des pièces made in China, 100% polyester à plus de 1000 euros.
Marie Dewet, fondatrice de Maison Cléo
Définir les contours de Maison Cléo
Marie commence à dessiner des pièces que sa mère conçoit : « Elle coud depuis toujours, comme toutes les femmes de ma famille qui ont été couturières, et ce depuis le 18e siècle. La lignée s’arrête à moi, même coudre un bouton ça me saoule ! Ce qui m’attire, c’est la beauté des matières et l’esthétique finale. » Et le confort dans tout ça ? « Je n’y pense pas trop, pour moi le visuel prime avant tout. Je préfère parfois porter des chaussures qui font mal aux pieds mais que je trouve très belles, ou un vêtement qui me serre, » raconte-t-elle. D’ailleurs, lorsqu’on lui demande de définir son style, Marie s’amuse d’avoir un côté un peu ringard, elle se plaît à mélanger les couleurs, matières et imprimés : « Quand je m’habille, je m’amuse. J’adore Jean-Paul Gaultier, Roberto Cavalli… J’aime tout mélanger, j’aime ce qui est osé et décalé. Souvent les filles au bureau se moquent de moi, mon style c’est un peu Zézette dans Les Visiteurs ! » Le sourcing de matières naturelles constitue au départ un des éléments fondamentaux de la marque, désormais la créatrice s’autorise des tops en mesh (de la résille, ndlr) et autres matières synthétiques : « Je n’ai plus de limites, ça me permet de proposer des maillots de bain, des sacs… L’important c’est de toujours opter pour du déstockage. Je me fournis en Italie où l’on trouve la plupart des tissus dont se débarrassent les marques de luxe. J’y vais tous les trois mois et les fournisseurs m’envoient des photos régulièrement. Ce qui me gêne, ce n’est pas tant l’utilisation de matières synthétiques mais plutôt les marques de luxe capables de vendre des pièces made in China, 100% polyester à plus de 1000 euros. » Contrairement aux marques classiques, se procurer une pièce Maison Cléo demande de la patience, les vêtements sont mis en ligne sur leur site chaque mercredi à 18h30, puis l’on commande la pièce dans une taille standard ou en envoyant ses mensurations. Chaque pièce est conçue sur demande avant d’être expédiée trois semaines plus tard, Marie a elle-même adopté ce principe : « Il y a 5 ans, j’ai commandé un sac chez Susan Alexandra, une marque new-yorkaise qui fabrique des sacs en perles de plastique recyclé. Le sac est arrivé chez moi au bout d’un mois ! Le recevoir sachant qu’il avait été réalisé juste pour moi, c’est un sentiment vraiment génial et je crois que tu ne peux le comprendre qu’en essayant. Je ne m’habille plus que comme ça : lorsque je commande un pantalon, je donne mes mensurations et il me va parfaitement. Cela permet de s’adapter à toutes les morphologies, on n’a jamais les mêmes mesures poitrine, taille et hanches. » Une manière de consommer la mode autrement quand tout est constamment à portée de téléphone.
Coup d’accélérateur
Si Instagram a été incontestablement au cœur du développement de Maison Cléo, la marque décolle grâce à la blogueuse américaine Leandra Medine Cohen (suivie par plus d’un million d’abonnés sur son compte, ndlr) qui en parle dès 2017. Marie se souvient : « J’ai quitté mon emploi chez Vestiaire Collective en 2020, juste avant le confinement. J’avais envie de ne me consacrer qu’à Maison Cléo et dès cette période, on a connu un pic qui n’est jamais redescendu. » Le premier défilé arrive et une fois encore, Marie décide de se détacher d’un milieu dans lequel elle ne se reconnaît pas : « On a présenté notre collection Été 2022 intitulée « Première fois », à l’espace Niemeyer à Paris, en mars alors que les marques présentaient leur collection Automne-Hiver. Pour moi ce n’était pas logique de parler de ce qu’on allait faire six mois plus tard, pour cette raison Maison Cléo n’a pas été accepté au calendrier officiel. La veille, ma directrice Ludivine Dumortier n’en a pas dormi de la nuit et je m’attendais à être dans un état similaire mais ça allait. Les personnes chargées des lumières et du son qui bossent habituellement pour des marques comme Dior ou Chanel nous ont dit que c’était du jamais vu, qu’elles n’avaient jamais connu des personnes aussi zen et qu’elles avaient plus l’habitude de gens qui courent partout en criant ! L’équipe a même versé une petite larme à la fin tant c’était étrange et particulier de travailler sans se faire gueuler dessus, » se souvient-elle.
Je trouve ça vachement cool que les femmes osent et revendiquent le droit à porter ce style de mode qui, quelques années en arrière, pouvait presque sembler impraticable. J’adore le corps de la femme, j’ai envie de le mettre en valeur.
Marie Dewet, fondatrice de Maison Cléo
Is sexy the new cool ?
Ce défilé marque un tournant puisqu’elle montre une vraie diversité avec des styles de filles très différents de ce qu’on observe dans le secteur de la mode. « La collection mettait en avant des pièces sexy, des vêtements courts et transparents comme je les aime et qui font vraiment partie des codes de la marque, des vêtements simples et portables pour l’été. J’ai l’impression que les gens jugent moins qu’avant lorsque les filles portent des vêtements sexy, c’est pourquoi elles l’assument davantage et le postent sur leurs réseaux sociaux. Je trouve ça vachement cool que les femmes osent et revendiquent le droit à porter ce style de mode qui, quelques années en arrière, pouvait presque sembler impraticable. J’adore le corps de la femme, j’ai envie de le mettre en valeur. J’ai commencé à faire des mini-jupes en laine en 2016 et je me rends compte que tout ce qui pouvait être autrefois considéré comme vulgaire revient aujourd’hui, c’est peut-être aussi parce qu’on est la génération qui ont connu les clips de Britney Spears ou Christina Aguilera dans les années 2000, il y a un côté nostalgique qui nous rappelle nos idoles d’avant, ça nous faire revivre notre jeunesse avec des crop tops ou des jeans taille basse ! » À une époque ou le harcèlement de rue est un vrai sujet de société et surtout une infraction passible d’une amende (90 euros minimum et jusqu’à 1 500 euros en cas de circonstances aggravantes, ndlr) Marie admet qu’elle crée aussi pour faire bouger les mentalités afin que les femmes n’aient plus peur de se vêtir comme elles le désirent : « On ne se balade jamais nue dans la rue… Dans mon ancien boulot, les femmes n’avaient pas le droit de porter de débardeur sans soutien-gorge de peur qu’on perçoive leur téton. Je le faisais tout de même et c’est triste que ça en devienne presque un acte militant. Il ne manquerait plus que même au travail on réussisse à nous imposer ce genre de choses… » On ne peut qu’acquiescer et souhaiter avec force qu’un territoire d’expression telle que la mode ne soit jamais délimité.