Kamal Mouzawak nous invite à un déjeuner dominical à Jeita au Liban

Destination nostalgie avec le restaurateur franco-libanais que l’on retrouve derrière la table et épicerie fine parisienne Tawlet.

Kamal Mouzawak a consacré sa vie à un principe simple qu’il a appelé «Make food, not war», une injonction militante qui nous rappelle aussi que le Liban est un pays de diversité avec une partie de sa population qui regarde vers l’orient, l’autre vers l’occident. Une partie chrétienne, l’autre musulmane. Si ces différences divisent les peuples, Kamal constate qu’il est une chose qui rassemble au-delà des cultures, des religions et de la politique, c’est ce qu’ils mangent. Ce terrain fécond lui a permis de tisser des liens, juste de quoi engager des conversations autour des plats qui nous réunissent. La nourriture a comme pouvoir magique de créer des ponts pour imaginer un ailleurs vers une vie et des valeurs communes.

“ Jeita est un petit village à 18km au nord de Beyrouth, c’est là que je suis né et que j’ai grandi. Le village est reconnu pour la beauté de ses grottes où se forment de sublimes sculptures naturelles au-dessus du Lac Noir. La maison où nous habitions avec ma sœur et mes parents était traditionnellement construite en terrasse, car le Liban est un pays en pente douce. 

Un des souvenirs qui a marqué mon enfance dans les années 1970 est la répétition du rituel dominical. Mes oncles, tantes et grands-parents habitaient à côté et nous avions pour coutume de partager le repas en petit comité chez nous ou autour de grandes tablées chez mes grands-parents. La journée commençait bien entendu avec le petit-déjeuner, mon oncle était un spécialiste des œufs frits. On savait à 1 kilomètre à la ronde ce qu’il était en train de préparer en sentant les parfums de l’huile d’olive. Dans les montagnes, on mange un repas plus hardcore fait de foie cru avec un verre d’Arak. Le knafeh est un repas encore plus riche, car c’est une galette dans laquelle on met du fromage fondu dessalé sous une croûte de semoule au beurre avec du sirop de sucre. 

Au Liban, même si on ne plante rien dans son jardin, il faut absolument avoir un carré de persil, en arabe on appelle ça maskbeh.

Kamal Mouzawak, restaurateur

Il nous arrivait d’aller à la messe le dimanche même si nous n’étions pas très religieux. Lorsqu’on rentrait, le rituel pouvait commencer. Au Liban, même si on ne plante rien dans son jardin, il faut absolument avoir un carré de persil, en arabe on appelle ça maskbeh. Il faut aussi un petit carré de menthe et un pot de marjolaine dans la cuisine pour faire le kebbeh, des boulettes de boulgour à la viande. Acheter du persil est impensable, c’est comme acheter du raisin, ça ne nous viendrait pas à l’esprit puisqu’on monte sur le toit, on choisit la grappe la plus mûre et on la mange aussitôt. Ainsi, le dimanche vers 11 h ma mère allait couper une grande quantité de persil, on le posait sur du papier journal et on se mettait autour pour faire des bouquets. Ce travail commun en famille est très important. Cela me touche encore plus que de déguster le repas. On ne peut pas utiliser de persil sans faire de bouquet, les tiges doivent être de la même longueur avant de pouvoir les laver, les sécher et les hacher. Quand le persil est tendre, on utilise les tiges que l’on coupe le plus finement possible. À l’époque, ce n’était pas commun d’avoir des enfants qui aident leur mère en cuisine, en particulier un garçon ! Cependant j’ai toujours aimé ça, ça n’a jamais été une corvée. 

11 h coïncide aussi avec l’heure du café, qui est un moment important au Liban comme en Grèce ou en Turquie. On fait une rakwé, une cafetière de café qu’on fait bouillir puis c’est à ce moment que ma mère appelait mes oncles et tantes pour prendre le café. Naturellement, une fois assis tout le monde mettait la main à la pâte. Chez nous il n’y avait pas de dimanche sans taboulé, ce n’est pas un rituel mais une nécessité ! Chaque maison a sa variante avec plus ou moins de boulgour ou de tomate. Un taboulé est signe de fraîcheur, c’est pourquoi rien ne doit être cuit. On hache les produits comme on tranche un jambon, sans jamais revenir en arrière avec son couteau car les herbes peuvent noircir et perdre de leur fraîcheur. Une fois prêts, les aliments sont aussitôt mis au frigo, on ne mélange qu’avant de passer à table et on ajoute le jus de citron et l’huile d’olive avant de servir. Certaines personnes préfèrent mettre le boulgour à la fin pour qu’il reste croquant, je préfère le mettre en dessous des tomates pour qu’il absorbe leur eau. Il y a des gens qui préfèrent le verjus au citron mais je trouve ça trop épais en goût, il y en a aussi qui préfèrent la mélasse de grenade… À la rigueur, j’aime ajouter un peu de piment vert frais pour soutenir une petite tension en bouche, c’est ce que faisait ma tante. 

Je n’ose pas dire du taboulé que c’est une salade, pour moi c’est minimiser l’importance du taboulé qui doit être acide et frais pour soulager les effets de la chaleur.

Kamal Mouzawak, restaurateur

Je n’ose pas dire du taboulé que c’est une salade, pour moi c’est minimiser l’importance du taboulé qui doit être acide et frais pour soulager les effets de la chaleur. Dans un repas traditionnel on commence toujours avec ce plat, généralement on le mange avec un petit bout de pain qu’on forme comme une pelle et on déguste le tout. On ne revient jamais au plat avec le même morceau de pain. On est catégorique sur la question ! Communément, on mange ce plat avec du pain ou de la salade comme de la laitue ou avec un morceau de romaine ou de chou blanc. Quand la vigne commençait à pousser, ma mère montait sur le toit et cueillait les feuilles les plus tendres, à cette période de l’année elles sont presque phosphorescentes. Il faut les manger rapidement avant qu’elles grandissent et qu’elles deviennent duveteuses. Leur parfum est incomparable, c’est de la chlorophylle pure, un vrai goût de printemps. C’est cette même vigne qu’on farcira plus tard d’un mélange de riz et de légumes ou de viande. 

Ma mère préférait manger le taboulé avec des feuilles de poivron vert mais j’ai toujours préféré l’acidité de la vigne. Je revois cette vigne parcourir le toit de la maison, naître au printemps, nous protéger de la chaleur harassante de l’été et réchauffer la maison à l’automne quand ses feuilles tombent peu à peu. Cette maison qui nous a vu grandir ma sœur et moi était entourée de vergers, ainsi la nature et les produits ont toujours eu une place importante dans ma vie. À l’époque je ne le comprenais pas mais je sais qu’au fond de moi, cuisiner a toujours été ma manière de communiquer mes émotions.”

Article extrait de Mint 23 disponible partout en France. 

Journaliste
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Déborah Pham
Co-fondatrice de Mint et du restaurant parisien Maison Maison. Quand elle n’est pas en vadrouille, elle aime s’attabler dans ses restos préférés pour des repas interminables arrosés de vins natures. Déborah travaille actuellement sur différents projets éditoriaux et projette de consacrer ses vieux jours à la confection de fromage de chèvre à la montagne.
Illustratrice
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Myriam au citron
Anaëlle Myriam Chaaib est une dessinatrice franco-marocaine. Ses illlustrations colorées et joyeuses sont inspirées de sa vie quotidienne au Maroc : souvenirs d’enfance, personnages attachants, artisanat, maisons chaulées, paysages allant de la montagne à la Mer Méditerranée.

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