Dans l’industrie du chocolat, les héros sont rarement visibles. On célèbre les tablettes bean-to-bar, les chefs pâtissiers, les packagings léchés. Mais qui parle des cultivateurs ? Combien sont-ils payés ? Et par qui ? C’est ce flou que Bantu Chocolate, lancé en 2022 au Cameroun, veut dissiper.
Véronique Mbida est née au Cameroun, où elle a grandi, avant de poursuivre ses études en France. Elle travaille chez L’Oréal Luxe, puis assiste la styliste Lotta Volkova, avant de s’installer à Rio en tant que consultante, brand manager et stratégiste dans la mode. Mais rapidement, le besoin de sens prend le dessus. Le déclic ? Il vient de sa mère, désireuse de profiter des mesures d’incitation du gouvernement camerounais pour soutenir les propriétaires agricoles. Dans sa famille, les plantations de cacao ont toujours été là. Mais cette fois, Véronique décide d’aller plus loin, de comprendre les rouages de la filière pour tenter d’en corriger les failles.
Elle réalise alors combien les dysfonctionnements systémiques du secteur ont des effets en cascade : la pauvreté des cacaoculteurs entraîne déforestation, travail des enfants, voire trafic humain. Cette précarité alimente aussi l’immigration clandestine, tandis qu’en Europe, on consomme un chocolat ultra-transformé, aux origines opaques. Les experts alertent même sur une possible extinction du cacao d’ici 2050, conséquence directe de la dégradation des sols et du dérèglement climatique. Tout est lié.
Avec Bantu Chocolate, Véronique Mbida veut construire une chaîne vertueuse : équitable, traçable, durable. Le nom de la marque fait référence aux peuples bantous d’Afrique subsaharienne, originaires de la région du Cameroun actuel. Leur migration à travers le continent il y a plusieurs millénaires a profondément influencé les cultures agricoles et artisanales africaines. Plusieurs philosophies bantoues, dont le concept d’Ubuntu — « je suis parce que tu es » — insistent sur l’interdépendance et la solidarité. Une vision humaniste qui irrigue tout le projet.
Sur le terrain, Bantu Chocolate possède sa propre ferme au Cameroun, où le cacao est cultivé selon des pratiques agroforestières durables, sans monoculture. Cette intégration verticale, de l’arbre à la tablette (tree-to-bar), garantit une traçabilité totale. Chaque tablette est un single estate : elle provient d’un seul domaine, avec un profil aromatique unique.
Quant aux labels comme Fair Trade, BCorp ou bio, leur logique est questionnée. Ces certifications, rassurantes pour les consommateurs occidentaux, imposent souvent des contraintes coûteuses, mal adaptées aux réalités locales. Certaines enseignes exigent des labels pour travailler : un compromis contraint, que Véronique accepte parfois, mais sans perdre de vue sa critique. Elle s’engage aujourd’hui dans une démarche de certification bio, convaincue de son impact sur la qualité des ingrédients et la santé des consommateurs. « Je ne renonce pas à mes principes », précise-t-elle. « Mais je n’ai pas encore le pouvoir de changer toutes les règles. Je garde la liberté de les interroger. »
Car l’histoire du cacao est celle d’une dépossession : esclavage, puis néocolonialisme. Aujourd’hui, la Côte d’Ivoire et le Ghana réclament 400 $ supplémentaires par tonne produite. En vain. Pendant que les forêts reculent, les multinationales lorgnent de nouveaux territoires comme le Liberia ou le Cameroun, encore riches en terres.
Bantu Chocolate refuse cette logique. Son modèle vise à restaurer la souveraineté de ceux qui produisent. Si la transformation locale au Cameroun n’est pas encore une réalité, c’est l’objectif affiché. En 2022, les fermiers recevaient environ 1 000 francs CFA le kilo de cacao (soit 1,55 €). Pour une tablette vendue 3 €, le cultivateur ne touche que 6 centimes. Les intermédiaires et industriels, eux, captent jusqu’à 80 centimes. Un système pensé loin des plantations, qui perpétue des logiques de domination.
Bantu Chocolate veut rompre ce cycle. En produisant autrement. En valorisant la terre sans l’épuiser. En assurant une rémunération juste. En imaginant un modèle où dignité rime avec qualité. « Le chocolat, disait un expert, c’est un marché construit sur la pauvreté des fermiers. » Il est temps de casser cette logique et de se souvenir qu’il y a toujours eu deux manières de nourrir le monde : extraire ou cultiver.