Kintsugi ou l’art japonais de réparer les pots cassés

Bien loin du culte de la perfection, le Japon célèbre ses failles et ses cicatrices depuis des siècles. À tel point que le pays a érigé le wabi-sabi – raffinement attribué à l’empreinte du temps – au rang de philosophie. Le même esprit anime l’art du kintsugi. Apparu il y a 500 ans, il consiste à réparer un objet fissuré en soulignant ses fêlures à la feuille d’or. Une certaine idée de l’acceptation de soi que certains appliquent volontiers à leur quotidien.

D’Ashikaga Yoshimasa, on sait qu’il était un chef de guerre japonais du 15e siècle, qu’il portait son bouc très pointu et … qu’il était maladroit. Plutôt que de le moquer, tirons-en dès maintenant une leçon : le manque d’adresse est un joli défaut. Voyez plutôt. Lors d’une cérémonie du thé, le shogun – ou grand général pacificateur des barbares, c’est vous qui voyez – a commis l’erreur de casser son bol préféré. Il a alors envoyé l’objet en Chine, son pays d’origine, pour réparation et celui-ci lui a été retourné rafistolé à l’aide d’agrafes métalliques. La suture malheureuse était non seulement laide mais rendait le bol inutilisable car perméable. Déçu et un poil furieux, le général a exigé que des artisans nippons réparent la précieuse vaisselle de manière plus artistique. Le kintsugi était né. 

De kin, l’or, et tsugi, la jointure, cet art centenaire vise à sublimer les cassures plutôt qu’à les camoufler. Les éclats du bol d’Ashikaga Yoshimasa ont ainsi été récoltés puis recollés. Il a ensuite fallu attendre plusieurs semaines avant que la colle ne sèche. Le bol a ensuite été poncé puis chaque fissure a été soulignée à l’aide de plusieurs couches de laque végétale nommée urushi. À la Préhistoire, déjà, durant la période Jōmon, cette sève d’arbre était utilisée pour réparer des objets. Les fêlures ont ensuite été recouvertes de poudre d’or qui ne ternit pas et ne risque pas d’endommager les aliments. Le bol fétiche du chef a alors acquis plus de valeur qu’avant l’incident : la chute faisait désormais partie de son histoire. 

Le délicat assemblage a très vite conquis les disciples de la cérémonie du thé. À leurs yeux, la partie réparée des céramiques japonaises, chinoises ou coréennes devenait un paysage admirable, propre à chaque création. À tel point qu’au 17e siècle, des petits malins ont profité de cette mode pour revendre à prix d’or des bols ordinaires cassés puis réparés avec ce savoir-faire complexe. Et si le kintsugi est parvenu à traverser les siècles, c’est aussi par son caractère philosophique. Avec lui, le cycle de vie des objets est éternel et l’usure est loin d’être une fatalité. Dans un pays où les tremblements de terre sont fréquents, on comprend que la céramique brisée puis sublimée soit un véritable pied de nez aux catastrophes naturelles. 

C’est grâce à l’engouement récent pour le travail manuel et l’intérêt suscité par la céramique que le kintsugi est apparu sur le devant de la scène en Occident. À Paris comme dans toutes les grandes métropoles, on peut désormais apprendre à réparer sa tasse favorite ou son vase de famille lors d’un cours ou à l’aide de vidéos D.I.Y en ligne. Une manière de faire barrière au gaspillage qui nécessite cependant 10 ans de formation avant d’obtenir un résultat raffiné. Il existe d’ailleurs très peu d’artisans qui maîtrisent encore cette technique aujourd’hui. 

Les artistes et designers contemporains sont néanmoins nombreux à s’en inspirer. En France, l’artiste Hélène Gugenheim magnifie les cicatrices des autres à la feuille d’or. En Italie, l’exubérante enseigne Seletti s’est emparée du kintsugi en lançant une gamme de porcelaine striée de lignes d’or tandis que la marque Officinarkitettura® a mis à la vente du carrelage mural et du papier peint composés de fissures dorées. Des coutures façon kintsugi se sont même retrouvées sur les tapis de sol en daim de l‘Infiniti QX, un SUV électrique japonais. Certains fans de Star Wars ont, quant à eux, vus dans la bande-annonce du neuvième volet de la saga une référence au kintsugi. Le masque de Kylo Ren y apparaît fendu de toute part et le réalisateur a reconnu ce clin d’œil à l’art nippon. Selon lui, le masque fracturé définit le personnage par ses fêlures. 

Une entrée significative dans la pop-culture qui fait écho au business florissant que le kintsugi devient aux États-Unis. L’application Calm propose, par exemple, une méditation “kintsugi”. Il est aussi possible de suivre une thérapie en ligne grâce à un logiciel du même nom qui mesure le bien-être de son utilisateur au ton de sa voix. Ce qui séduit les acheteurs, au fond, c’est le message renvoyé par le kintsugi. L’idée partagée par Nietzsche selon laquelle ce qui ne te tue pas rend plus fort. Les aficionados du développement personnel ont très vite adapté le précepte : quand on se casse, on peut être réparé, transformé et ce sont nos cicatrices qui nous rendent intéressants. Cette philosophie invite à célébrer l’impermanence des choses, à embrasser la patience et à contempler les imperfections. Elle pousse aussi chacun à accepter l’aide extérieure dans les moments difficiles, de la même manière que la sève vient soutenir la céramique pour lui rendre de sa superbe. Si tout va mal, se tourner vers ce qui nous élève est salvateur. Au-delà d’une question de pure esthétique, la plus grande force du kintsugi semble donc résider dans le chemin initiatique et l’acceptation de soi qu’il sous-entend. Sa beauté se niche finalement dans cette leçon de résilience.

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