Pourquoi as-tu choisi cette destination ?
J’ai toujours rêvé d’aller à Istanbul, ayant en tête l’image d’une ville bouillonnante au carrefour des continents, brassant les cultures, chargée d’histoire et de saveurs. Ensuite, nous voulions avec ma compagne profiter pleinement de l’été au bord de l’eau, que ça soit celle d’une rivière, d’une piscine ou de la mer. Nous nous sommes alors directement dirigés bien plus au sud du pays, en quête d’endroits paisibles.
Peux-tu nous en dire plus sur ce voyage ?
Nous avons passé cinq jours intenses à Istanbul, en tentant de nous imprégner au maximum de ce que la ville avait à offrir en un temps relativement restreint. Bien que les quartiers très denses et touristiques puissent être intéressants photographiquement parlant (comme le sait si bien Martin Parr), nous avons rapidement fuit le centre d’Istanbul. Durant la journée, nous préférions nous attarder et flâner longuement dans les quartiers plus populaires de la ville. Nous avons déambulé à la rencontre de ses habitants, de ses commerces et de ses cafés où les hommes se réunissent pour des parties de Okey endiablées. Ces scènes de vie nous ont beaucoup captivées. La matin, nous commencions toujours nos journées dans le quartier plus bohème de Cihangir par des breakfast gargantuesques, les kahvalti. Nous les terminions sur les terrasses panoramiques remarquables qui surplombent la ville. Le changement d’ambiance et la façon de vivre entre les quartiers sont saisissants. Sur une même journée, nous avions souvent l’impression d’avoir traversé plusieurs villes.
Nous avons ensuite pris un vol vers le sud pour parcourir la côte, dans les régions de Datça, Dalyan puis Faralya. Derrière la vitre des dolmuş — minibus turcs — qui nous emmenaient vers nos pieds-à-terre tranquilles et isolés, nous avons pu constater que le tourisme de masse avait tristement dévisagé une grande partie de la région. Par contre, une fois sortis des sentiers battus, c’est rapidement le paradis. Le littoral est spectaculaire et certains paysages à l’intérieur des terres sont réellement inattendus.
Une anecdote à nous partager ?
Je ne sais pas si vous voyez cette scène des Bronzés où Jugnot se fait masser et gesticule sous la douleur pendant que Lhermitte et Clavier se fendent la poire. Cette scène je l’ai vécue, en version turque à Istanbul. Dans un hammam mixte typiquement stambouliote, un masseur géant – avec des avant-bras comme mes cuisses et une minuscule serviette éponge qui le couvrait – s’est occupé de moi. Il m’a étiré, plié, déplié, replié et enfoncé ses pouces dans les muscles devant un auditoire pouffant de rire mais priant pour tomber sur un autre masseur que le mien. Je crois que je me sentais mieux en entrant qu’en sortant.
Est-ce qu’il y a un lieu qui t’as particulièrement marqué ?
Sans hésitation, la vue de la terrasse d’un petit restaurant typique et familial qui faisait aussi épicerie (la seule à des kilomètres à la ronde) et qui surplombait la mer aux alentours de Faralya. Perdu au bord d’une route. Des femmes fortes en tenues paysannes traditionnelles – longues robes à fleurs et fichus sur la tête – prenaient difficilement les commandes en anglais puis s’affairaient avec vacarme dans une minuscule cuisine pour préparer nos plats. La terrasse peinte en rose bonbon était aussi saisissante que la vue imprenable sur le coucher de soleil.
Peux-tu nous raconter l’histoire derrière l’une de ces photos ?
Au départ de Dalyan, nous avons traversé un grand lac à bord d’un bateau-dolmuş pour aller visiter un très beau marché de fruits et légumes, typique et authentique, à Köyceğiz. Ces barques transportaient aussi beaucoup de touristes qui eux pensaient plutôt visiter le marché du centre ville en quête des plus belles contrefaçons. À l’avant du bateau et sous un soleil de plomb, les membres d’une famille anglaise à l’accent à couper au couteau, tous rouges écrevisse, paradaient fièrement et bruyamment, arborant leurs tatouages et french manucures d’un goût très douteux. Il y avait un sacré sujet photo à traiter. Néanmoins, ce que je garderai, c’est l’image poétique du grand-père qui l’espace d’un instant aura une absence, et se laissera porter à observer le rythme de l’eau, méditatif. Un contraste frappant avec la vision d’ensemble. Là où je veux en venir, c’est que je trouve formidable à quel point une image, détachée de son contexte, peut raconter tout autre chose que la scène qui se déroulait au moment où elle a été prise.
Comment es-tu arrivé à la photographie ?
J’ai tâtonné la photo quand j’étais adolescent puis j’ai consacré mes études et mon activité professionnelle à la création graphique et digitale. J’ai retrouvé un grand intérêt pour la photo il y a une dizaine d’années. J’étais alors entourés d’amis qui bossaient en argentique et qui étaient férus de street photo. J’ai ressorti mon matériel et je m’y suis remis. L’émergence des réseaux sociaux, la profusion de sources d’inspiration et un accès plus étendu aux publications papier grâce à internet a littéralement changé ma façon de voir la photo. Je crois que je me suis rendu compte qu’on pouvait vraiment s’amuser avec cette discipline que je devais trouver parfois trop sérieuse à la base, n’étant pas assez averti à l’époque.
Utilises-tu du matériel spécifique ?
Je travaille depuis plusieurs années au 50mm avec un reflex numérique et j’utilise souvent le flash. Cela apporte une dimension plus graphique et fantastique parfois en renforçant les couleurs et les textures.
Comment décrierais-tu ton style ?
J’ai beaucoup d’influences, toujours en évolution. Ce qui est certain c’est que je travaille de manière intuitive et spontanée tout en essayant d’opérer avec précision. Je suis très sensible à tout ce qui est insolite, parce que ça m’amuse, et à tout ce qui est graphique, parce que c’est esthétique. J’ai un certain goût pour la photographie contemporaine car j’aime me sentir vivre dans l’air du temps. J’aime bien quand ça claque, quand ça flash, quand c’est évident. Mais j’aime tout autant quand c’est subtil, doux, et que l’on peut s’attarder sur l’image en se demandant ce qui se passe dans la tête de cet homme ou de cette femme que l’on observe de dos.