Dans le monde du chocolat, les héros sont rarement visibles. On célèbre les tablettes bean-to-bar, les chefs pâtissiers, les packagings léchés. Mais qui parle des cultivateurs ? Combien sont-ils payés ? Et par qui ? C’est ce flou que Bantu, projet fondé en 2017 au Cameroun, veut dissiper. À l’origine : Veronique Mbida, ex-brand manager dans la mode à Rio, lassée de travailler pour vendre du rêve. Elle s’installe au Cameroun et décide de construire une filière cacao indépendante, du sol jusqu’à la tablette. Elle appelle sa marque Bantu, un mot bantou polysémique qui signifie à la fois « je suis parce que tu es » et « ceux qui prennent soin de la terre ».
Bantu, ce n’est pas juste du chocolat engagé, c’est une attaque frontale contre les pratiques opaques de l’industrie. Le prix du cacao est fixé à Londres ou à New York. Les fermiers, eux, vendent à des « coxeurs » (intermédiaires locaux, ndlr) au plus bas prix, sans contrat, sans garantie. En 2022, un millier de francs CFA valait 1,55 €. Pendant ce temps, les multinationales ont réduit la taille de leurs barres tout en augmentant les prix. Ce système, pensé loin des plantations, prolonge les mécanismes du colonialisme : des matières premières africaines achetées à prix dérisoire, transformées ailleurs, revendues avec marge dans les capitales occidentales. Le cacao est peut-être devenu une commodité, mais les logiques de domination économique n’ont pas changé. Ou alors simplement de nom.
Et les labels dans tout ça ? BCorp, Fair Trade, bio… Ces certifications rassurent les consommateurs occidentaux mais imposent aux petits producteurs des audits coûteux, des démarches complexes et parfois des critères hors-sol. Bandu a fait le choix radical de ne pas y adhérer. Pas par provocation, mais pour questionner leur logique même. Côté terrain, Bantu travaille en agroforesterie, dans un modèle dit « single estate » : chaque tablette provient d’une seule ferme, avec son profil gustatif propre.
L’idée, c’est de refaire du chocolat un aliment vivant. Un produit qui raconte une histoire : celle du climat, du sol, des gens qui y travaillent. Et d’un choix politique : celui de remettre la valeur là où elle a été volée. Car l’histoire du cacao est aussi celle de l’exploitation. D’abord par l’esclavage, puis par le néocolonialisme. Aujourd’hui encore, la Côte d’Ivoire et le Ghana demandent 400 dollars de plus par tonne de cacao produit. En vain. L’écart se creuse, les forêts disparaissent, et une nouvelle ère d’exploitation se prépare : cap sur le Liberia et le Cameroun, encore riches en terres.
Bantu veut devancer cette fuite en avant. En produisant mieux sans épuiser les sols. En transformant localement. En payant correctement. Reprendre la main sur la transformation, c’est briser un cycle de dépendance. C’est redonner au cacao et à ses producteurs leur dignité. « Le chocolat, disait un expert, c’est un marché construit sur la pauvreté des fermiers. » Il est temps de casser cette logique et de constater qu’il y a toujours eu deux façons de nourrir le monde : extraire… ou cultiver.