Dans le monde du football britannique, on ne va pas au stade pour bien manger. Depuis les années 70, la nourriture s’y résume souvent à une barquette beige, un hot-dog douteux, une pie standardisée sous cellophane. Le tout accompagné d’un thé brûlant ou d’un Bovril tiède. Un décor figé, que personne n’a vraiment tenté de bousculer, jusqu’à ce que Will Lewis débarque avec ses pies.

Formé dans les cuisines les plus respectées de Londres, de St. John à Rochelle Canteen en passant par Brat, Will Lewis ne se rêvait pas chef exécutif. Ce qu’il aimait, c’était être “on the line” : cuisiner, sentir la sauce épaissir, caraméliser la viande… En 2020, confiné et au chômage technique comme beaucoup, il lance une idée presque en l’air : faire des pies. Suite à son premier post sur Instagram, il en livre vingt à vélo dans tout le nord de Londres, aidé par son coloc. Les commandes affluent. La semaine suivante, il en fait vingt-cinq. Puis cent. Puis deux cent cinquante.
Pendant des mois, tout est artisanal. La pâte feuilletée est roulée à la main. Le bouillon de poulet cuit huit heures. La viande est saisie dans le gras du bacon, reposée, puis enrobée dans une sauce. L’entreprise tourne la nuit, dans une cuisine partagée qu’ils louent à prix cassé, avec un seul jour de production et un seul jour de livraison. Ce bricolage précis va poser les fondations de Willy’s Pies.

Aujourd’hui, l’entreprise s’est structurée. Plus de 2 000 pies sortent de leur atelier chaque jour, cuisinées par une équipe de professionnels. Les produits restent les mêmes, sourcés chez HG Walter ou dans des fermes du Yorkshire. Mais surtout, les pies ont quitté les DM Insta pour se retrouver dans les rayons de supermarchés premium et dans les loges de l’Emirates Stadium.
Depuis 2023, Willy’s Pies fournit Arsenal, puis Fulham, en tourtes artisanales. Ce n’est pas une opération marketing, c’est une livraison régulière, avec les mêmes recettes que celles disponibles en ligne ou en boutique. « Le stade est l’endroit ou les gens sont habitués à manger de la merde, » dit Will Lewis. « On essaye de leur offrir un peu mieux. » Pas de menu dédié pour les fans, pas de version édulcorée pour coller au décor. Juste une vraie pie, dans un vrai stade.
Le symbole est fort. Depuis des décennies, la nourriture de stade est pensée comme un complément jetable à l’expérience sportive. La plupart des supporters arrivent en sachant qu’ils devront choisir entre un burger congelé ou un hot dog tiède. Dans The Great Pie Revolt, Jack Peat raconte même avoir écrit un guide pour éviter les stands de bouffe dans les stades, tant ils sont uniformes. “La standardisation est le vrai problème”, écrit-il. “Tout se ressemble, rien n’a de goût.”
Will Lewis n’a pas voulu faire de Willy’s un produit luxe. Ce qu’il veut, c’est que la qualité soit constante, accessible, et à la bonne place. Sa gamme tourne autour de quelques recettes solides : bœuf braisé à la bière, poulet rôti et poireaux, chou-fleur et cheddar, pensées pour être mangées à une main avec une pinte, debout, dans une tribune. Pour lui, il s’agit de faire les choses bien. Comme à la maison. Comme avant.
Dans le nord de l’Angleterre, on appelle ça “a stew with a lid”, un ragoût avec un couvercle. C’est simple, et quand c’est bien fait, c’est tout ce qu’on veut manger un jour de pluie en novembre. Le genre de plat qui traverse les classes sociales, les saisons et les générations. Et aujourd’hui, c’est aussi ce qu’on peut manger à la mi-temps d’un match de Premier League.