Broc’ en stock : rencontre avec des chineurs passionnés

Antiquaire spécialisé, collectionneuse compulsive et adepte du beau dépoussièrent leur passion commune pour le vintage et vous embarquent direction la chine, déballant au passage leurs meilleurs tips afin de retourner une brocante en deux-deux et y débusquer les bonnes affaires.

L’art de la table selon Elsa Salmon

On n’a pas pu réprimer un petit rire lorsqu’on a vu la fluette Elsa débarquer, déballer ses cartons en deux temps trois mouvements et dégainer son fer pour se lancer, hyper concentrée, dans le repassage de ses nappes et serviettes en coton, dentelles et lin. De prime abord, la jeune trentenaire, originaire de Strasbourg et installée à Paris, semble incarner une version contemporaine de Nadine de Rothschild (le côté bourgeoisie de droite très codifiée en moins), avec l’envie de remettre au centre de la table, les arts de bien la dresser et de bien recevoir.

Photos : Louise Desnos

D’où lui vient cette lubie ? Comme beaucoup d’entre nous durant les confinements, Elsa a longtemps fixé son plafond et s’est posé pas mal de questions existentielles (que fais-je, où vais-je ?). C’est finalement en scrollant frénétiquement sur le compte Instagram de la food stylist new-yorkaise en vue Laila Gohar que lui viendra cette idée : « Cela faisait 10 ans que j’étais attachée de presse dans la mode, dont 8 passés en agence. J’ai toujours voulu faire quelque chose de créatif et de manuel. J’aime recevoir, j’adore organiser des dîners et je collectionne de la vaisselle vintage. J’aime jouer les maîtresses de maison (rires) ! » Elle a donc monté sa structure Artis il y a deux ans et dresse depuis de belles tables à l’occasion de petits déj’, déjeuners, dîners et buffets privés organisés par des marques (parmi ses clients : Christofle, Musier, K-Way, Jonak…) mais aussi par des particuliers.

Son style ? « Champêtre, mais pas mièvre, le délire Marie-Antoinette sur le retour très peu pour moi. Ce style me vient de mes séjours passés dans l’énorme demeure familiale en Lorraine où mes grands-parents ont pour coutume d’organiser  de grandes tablées. C’est aussi une région où il y a pas mal de vide-greniers et c’est là où je me fournis 3 à 4 fois par mois en vieille vaisselle vendue par lot. » Alors que d’autres ont les placards remplis de fringues fast-fashion à ne plus savoir qu’en faire (no offense), chez Elsa, ce sont les assiettes en porcelaine, les verres à vin en cristal, les couverts en argent et les nappes en lin qui s’accumulent (250 pièces, ça commence à faire).

Rassurant pour son banquier : Elsa ne cherche pas à dénicher les pièces de grandes manufactures. Ce qui la fait kiffer ? « L’esthétique. J’ai une obsession pour les verres, leurs formes, l’épaisseur du verre, les reflets qui se projettent sur la nappe blanche. J’aime ce côté organique et sensoriel.» Ce qui la fait moins kiffer? « Voir mes verres brisés par terre à la fin d’un repas. J’identifie toujours lesquels n’ont pas survécu pour faire mon inventaire. » Et ce n’est pas le seul « don’t » à faire grincer des dents Elsa…

  • Ne vous enflammez jamais : « Évitez l’achat sur un coup de tête. Posez-vous les bonnes questions : quelle utilité, est-ce que j’en ai vraiment besoin ? Pensez consommation raisonnable. »                                                        
  • Ne vous interdisez pas de toucher : « Déjà pour vous assurer que les pièces sont en bon état mais aussi pour avoir une idée de la matière : certaines pièces en céramique peuvent avoir un effet granuleux désagréable une fois portées à la bouche ».
  • N’arrivez pas les mains vides : « Pensez à vous munir de gros sacs et de journaux pour empaqueter vos trouvailles. »                                 
  • Ne soyez pas rigide : « Amusez-vous à dépareiller mais gardez en tête que la vaisselle et le linge de table doivent s’accorder à la nourriture servie, en termes de couleurs et de formes (des assiettes claires si les aliments préparés sont colorés, par exemple). L’avantage avec les arts de la table, c’est qu’on peut facilement créer des ambiances différentes, contrairement au mobilier. Et dès qu’on s’en lasse, on range tout. » Et « tu hors de ma vue », comme dirait Wejdene.                                                     

-> Instagram Artis office

La vibe chic à l’ancienne de Bertrand Waldbillig

Il y a des souvenirs qui restent gravés à jamais dans nos mémoires, ou plutôt des objets qui les marquent d’une pierre blanche : la première paire de Reebok Classic au collège (les mêmes que Lino d’Ärsenik), le premier bipeur Tam-Tam au lycée, le premier Nokia à clapet à la fac… Pas sûr que tout ça ait suscité des vocations chez vous. Mais concernant Bertrand, c’est une lampe des années 30 qui a ouvert le volet « toute première fois » de sa vie d’antiquaire aux Puces de Saint-Ouen :
« C’était une Primavera, du nom de l’Atelier d’Art des Grands Magasins du Printemps (1912-1972), division dédiée à la déco et dont les pièces étaient réalisées par des manufactures françaises. Cette lampe en céramique conçue par la Céramique d’Art de Bordeaux, je l’ai achetée en salle de vente pour une bouchée de pain (une trentaine d’euros). Le catalogue de la vente avait oublié de mentionner qu’elle était signée. C’était à Drouot à Paris, en 2015. » Un premier grand frisson pour ce Parisien de 42 ans dont le parcours ne s’est pas toujours fait dans les allées des puces, brocantes et autres vide-greniers.

Il y a encore 7 ans, Bertrand bossait dans le secteur de la course automobile (versant communication), avant de bifurquer dans le monde de l’horlogerie. D’abord en tant qu’attaché de presse puis journaliste spécialisé: « J’étais freelance, donc je passais pas mal de temps aux Puces, où un couple d’amis a son stand. Ils m’ont proposé d’être vendeur le week-end. Cela m’a motivé à suivre une formation professionnelle d’un an à Drouot. » Alignement des planètes, un jour, l’opportunité de reprendre un stand d’antiquaire à Saint-Ouen se présente. Bingo, par cooptation, Bertrand décroche le gros lot et ouvre un nouveau chapitre, celui de sa galerie Inverno («hiver» dans la langue de Dino Risi): « Avec mon associée Clémence, on est spécialisés dans le mobilier du XXe siècle, de la période Art déco jusqu’aux 80s. Dernièrement, j’ai chiné un magnifique ensemble de salon français, un canapé et deux fauteuils assortis style “space age” à la structure en inox, sur leboncoin, datant des années 70. Je l’ai tout de suite identifié, car j’avais vu la publicité d’époque dans un magazine de déco de 1974. Il a été revendu sur le stand immédiatement. Tout ce qu’on présente est prêt à l’emploi, car soit en bon état soit retapissé et restauré. Ma clientèle est majoritairement américaine, essentiellement des décorateurs d’intérieur.» Si Bertrand avoue adapter sa marchandise à sa clientèle qui baigne plutôt dans le luxe, pas besoin pour autant de faire chauffer sa CB pour dégoter la perle rare : « Il faut expérimenter au fil du temps, on part dans tous les sens quand on chine. J’ai fait des études d’Histoire, donc en amont je fais toujours un gros travail de documentation. Petit à petit, avec le temps et l’expérience, on devient naturellement sélectif et attiré par des pièces qui ont un intérêt particulier. »

En attendant d’avoir le « eye of the tiger », on peut aussi se constituer un starter pack du bon chineur sachant chiner en suivant les conseils de cet esthète rompu à l’exercice aux côtés d’une grand-mère qui « de toute sa vie, n’a jamais acheté un meuble neuf » (prenez-en de la graine).                                                  

  • Restez connecté : « N’hésitez pas à consulter plu- sieurs fois par jour les sites de ventes et d’enchères comme Drouot, leboncoin, Instagram et à vous créer des alertes. Chronophage mais efficace.»                                              
  • Visez large : « Les vendeurs ne sont pas toujours conscients qu’ils détiennent une pépite. À cause d’un mauvais référencement, on risque de passer à côté d’une affaire. Le meilleur moyen de la choper, c’est donc de ne pas avoir d’idées précises : déambulez sur leboncoin comme dans une brocante et entrez des mots-clés généralistes comme “enfilade scandinave” ou “sculpture en céramique”. »
  • Chopez la pièce indispensable : « Une paire de chauffeuses. On en trouve de très jolies à tous les prix. J’en avais repéré récemment en inox datant des années 60, lors d’un déballage à Avignon. Mais je suis arrivé trop tard, elles étaient déjà réservées… »                                                 
  • Négociez le prix : « Ça fait partie du jeu ! En revanche, faites attention à ne pas marchander de façon déraisonnable. C’est irrespectueux et ça braque le vendeur: si le prix est à 200€, n’allez pas en proposer 100. On marge autour des 20 %. »                     

-> Inverno aux puces de St Ouen – stand 20, 5 allée Marché Serpette

La toy story de Rocket Lulu

C’est chez elle, à Romainville, que l’on retrouve Laëtitia, dans une petite maison adorable à la devanture verte qu’elle occupe depuis 2012 avec ses trois enfants, ses deux chats et son mari, chineur invétéré lui aussi et rencontré, comme elle l’affirme en se marrant, « en faisant les poubelles ».

Entre les tableaux et dessins récupérés par Monsieur (de « jolies croûtes », c’est lui qui le dit) affichés aux murs et les trouvailles de Madame, on a vite l’impression d’être dans une maison de poupée. Car chez Laëtitia, partout, dans les tiroirs, les bacs à rangement, les placards et sur les étagères, ça regorge de petits objets hyper colorés : des petites voitures en tôle, des petites chaises en bois pastel, des petites toupies vert et jaune, des petits animaux en bois contenus dans de petites boites d’allumettes… Vous avez capté, tout y est « petit » puisque Laëtitia se passionne pour les jouets anciens datant des années 40 à 90 : « J’ai créé Rocket Lulu, mon e-shop de jouets et d’objets design pour enfants vintage, en 2013. Le nom est un clin d’œil à mes deux filles aînées : Lucile et sa sœur Margot qui était une vraie fusée étant enfant ! Il y en a tellement partout que je n’ai jamais interdit à mes enfants de s’amuser avec. D’ailleurs, ils n’ont quasiment jamais joué avec du neuf. » Une passion niche inspirée de son enfance, passée entre les puces de Montreuil près desquelles résidait son père, et les flea markets et garage sales qui rythmaient la calme campagne de l’Illinois et du Wisconsin, où s’était tour-à-tour installée sa mère au début des années 90. C’est là, dans ces États américains qui ont vu naître respectivement Harrison Ford et Liberace, qu’elle développe une fascination pour les vintage toys, notamment pour les objets publicitaires à destination des enfants, comme cette abeille en papier accrochée au bout d’une ficelle qui, lorsqu’on la fait tourner dans les airs, émet un bourdonnement (Rimski-Korsakov, rép’ à ça). Surpris par l’état quasi impeccable de tous ces jouets, elle nous avoue chiner principalement dans les invendus des professionnels: «Il est quasiment impossible de trouver en quantité dans les vide-greniers et broc’ en ligne des jouets anciens en bon état. Ou sinon ce sont de véritables objets rares de collection qui valent leur prix. Si on remonte antérieurement aux années 40, on s’apercevra que les jouets n’étaient pas encore produits en masse et étaient réservés aux classes très aisées.» Parmi ses belles trouvailles: un petit buffet vert menthe à l’eau en bois et Formica dégoté sur leboncoin ou encore le Rock’n’Roll de la marque Ambi Toys, un hochet mondrianesque (rouge, jaune, bleu, blanc) designé par Patrick Rylands et qui trône dans sa bibliothèque.

Étant graphiste de profession, cela expliquerait grandement sa passion : le souci porté autant au design qu’au choix des couleurs, que l’on parle de l’objet ou de son packaging. Et comme pour le mobilier, il existe des designers phares : les petits animaux au corps accordéon de Libuse Niklova, les illustrations de Fredun Shapur ou les récentes petites voitures en bois de Floris Hovers… Soit des objets pour enfants dont l’esthétique et le design suscitent toujours autant l’intérêt des petits et grands. Finalement, pas besoin de vouloir faire mumuse pour collectionner les jouets : on peut tout à fait les détourner de leur fonction et utilité initiale. À mettre dans votre «wishlist»:                                                                

  • Une déco Asimov friendly : « Les robots et automates en tôle datant de l’après-guerre et produits au Japon. » Ça a quand même plus de gueule sur une étagère que les figurines en plastique One Piece (le débat est lancé).
  • Plaisir d’offrir, joie de recevoir : « Disposez des petits jouets comme des voiturettes en fer blanc sur une table d’anniversaire pour enfant et laissez repartir vos invités avec.»                  
  • Make it slow : Un goûter déguisé ? Au lieu de se jeter sur les immondes costumes de princesses et de pirates dans des tissus douteux, « préférez les déguisements représentant des animaux en papier Playsack de Fredun Shapur ». On aurait presque envie de se balader dans une forêt sur le son de Sigur Rós.
  • Ça peut toujours servir : « leboncoin regorge de mobilier vintage pour enfant que l’on peut détourner facilement. L’avantage c’est que ces pièces ne sont pas signées de grands designers et donc à des prix raisonnables. On peut les utiliser en table d’appoint ou de chevet, en bout de canapé, en repose-pieds… » N’en jetez plus.

-> www.shop.rocket-lulu.com
Instagram : Rocket Lulu Shop

-> En collaboration avec Le bon coin

auteur
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Deborah Malet
Déborah est journaliste indépendante et a lancé sa newsletter gratuite dehors.dedans il y a 2 ans. Elle aime les mangas, le karaoké, les animaux, le dessin, la rando, la currywurst et la série policière allemande Tatort.
photographe
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Louise Desnos
Louise oscille entre commandes et projets artistiques. Sa pratique entretient un rapport paradoxal avec le hasard quotidien, qu’elle capte ou qu’elle provoque.

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