Sortez l'argenterie : quand on redore le blason de l'art de la table

Pendant des décennies, les plus chanceux.ses d’entre nous les ont vu prendre la poussière, empilés plus ou moins logiquement dans d’imposants vaisseliers en bois massif. Développant même l’angoisse de ces rituels des grands soirs où, fourchette à gauche, couteau à droite, nos ainé.e.s ressortaient la ménagère reçue le jour de leur mariage.

C’était sans compter sur la mode, aspirateur à tendances qui recycle avec plaisir tout ce que l’on pensait remisé au placard. La reine du service aujourd’hui ? L’assiette à fleurettes qui vient de détrôner les services en grès qui avaient fait une OPA sur les tables ces dernières années. Sans lifting, 40 ans plus tard, elle truste aujourd’hui les comptes Insta des foodies et les nouvelles tables en vue, de Tuba à Marseille à Bichette à Belleville.

Résultat, tout le monde est sur le coup, du luxe à la grande distribution. Cordelia de Castellane, DA de Dior Maison, décline hortensias et glycines sur ses assiettes et plateaux, Christofle lance son service vintage rue Royale, et les Dame Jeanne et ménagères ambiance Guy Degrenne s’invitent dans les corner home des grands noms de la fast fashion qui rééditent, sans crainte de l’hérésie, la vaisselle venue du passé.

Photos : Charlotte Robin
Set design : Lise Dupont

Les nouveaux banquets

Serait-ce parce que l’on a été contraint de réapprendre à manger chez nous durant le Covid ? Les arts de la table rencontrent ces dernières années une nouvelle ferveur, au point qu’il semble aujourd’hui devenu impossible de recevoir sans décorum. Sur Instagram, le moindre dîner appelle une mise en scène digne des réceptions de feu Elizabeth II, où les fourchettes Ikea côtoient les assiettes chinées et les couteaux Opinel, les fleurs séchées gentiment installées dans des vieux brocs aux côtés de plateaux en argent trouvés en brocante. Les marketeux ont même tenté de sociologiser la tendance, appelée « tablescaping ». Qui raconte, en creux, la montée en puissance du fait main et du repli domestique décrite par le journaliste Vincent Cocquebert comme « la civilisation du cocon », dans un essai du même nom (Arkhé, 2021).
« J’ai commencé par lever le pied sur les restaurants, puis j’en ai eu marre des commandes Deliveroo et des contenants en plastiques pas sexys, explique Axelle, 32 ans, juriste. Je me suis remis tout doucement à investir ma cuisine et j’ai voulu réenchanter tout ça avec de la belle vaisselle, des belles tables, quelque chose d’un peu authentique. Je me suis retrouvée à développer une véritable obsession pour les cuiller à sauce par exemple, que je chine dans les vide-greniers ou en ligne, faute de vouloir dépouiller ma grand-mère. »

Vieux pots = meilleure soupe ?

Parce qu’on ne dit plus « ringard » mais « vintage », un terme qui ne se limite plus aujourd’hui à la fripe trouée dénichée aux puces, la vaisselle ancienne évoque de son côté le terroir, les produits de saison, les savoir-faire. Bref, toutes les marottes de l’époque, entre aspiration à la décroissance et valorisation de l’authenticité. Un charme désuet qui séduit Gaëlle Mancina, fondatrice de Sans Façon, un site dédié aux arts de la table et scénographe pour le Club du souper qui organise des diners privés dans des lieux atypiques. « Les vieilles céramiques de la région d’Amalfi, hyper colorées, avec ses motifs poissons, mais aussi tout le patrimoine français, les vieilles barbotines, l’argenterie « old school »… ce sont des choses vers lesquelles je vais énormément. Ce que je préfère c’est mélanger les périodes, en mixant des assiettes années 80 type Memphis Milano avec des cuillers en argent qui n’ont rien à voir. Ce que j’aime dans ces pièces c’est l’idée de transmission, d’une histoire qui se préserve ou qui se raconte à nouveau. Avoir chez soi des pièces qui rappellent notre enfance, qui évoquent de vieux souvenirs. C’est, je pense, ce qui explique que l’on soit capable de s’attacher autant à des vieux couverts. » 

Plaisir de la chine

Vos grands-parents n’avaient rien à vous léguer ou pire, un peu trop inspirés par la famille royale britannique, ils envisagent de vous déshériter ? Coup de bol, la chine est aux dimanches des années 2020 ce que le brunch était à nos week-ends au début de ce siècle : un passage obligé. Dans les brocantes, en vide-greniers ou aux Puces les diggers jouent les fétichistes. Sur leboncoin, ils tapent frénétiquement des mots-clefs : « beurrier anglais », « soupière Villeroy & Boch » ou « saladier basque » à la recherche de la pépite. « Je conseille de taper des mots-clefs très généraux, car beaucoup de gens viennent se débarrasser de vieilleries trouvées chez leurs grands-parents sans trop en connaître la provenance, c’est là les meilleurs plans », explique Jessy Bloch, décoratrice d’intérieur. Elle poursuit : « comme c’est assez rare de trouver un service complet, cela permet de faire dans l’originalité : on s’inscrit dans un style (porcelaine fleurie, chinoise) et on mixe. Quitte à se recréer un service de 12 assiettes différentes par exemple. » Histoire de vous recréer, petit à petit, votre propre patrimoine.  

-> En collaboration avec Le bon coin

Journaliste
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Raphaëlle Elkrief
Raphaëlle Elkrief est journaliste lifestyle et société. De manière générale, les sujets qu’elle traite n’ont rien à voir les uns avec les autres. Outre son amour pour la Côte d’Azur, elle est fanatique d’Enrico Macias.

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