Un Big-Mac (ou presque) avec François Simon

Voix grave et semi-nasillarde. « Bonjour, on est mardi, il est onze heures passées de bientôt quinze minutes et je vous attends toujours devant le Mcdonald’s du boulevard Saint-Michel mais comme il fait froid et que j’ai tellement de choses à faire aujourd’hui, je risque de m’évaporer dans quelques instants sauf si vous me donnez de vos nouvelles. Bye bye ».

Ma rencontre avec le plus craint des journalistes gastronomiques de l’époque commençait mal : j’étais en retard, lui s’impatientait. Poliment certes mais l’agacement n’était qu’à une marche. À sa décharge, qui aimerait patienter le poil en frisson devant le temple du fast-food, surtout quand votre sujet du jour évoquera plus tard sa méticulosité à préparer des sandwichs « super équilibrés », pensés tels de « petits paysages bien séquencés » ?

Il paraît que les grandes tables de la capitale affichent en cuisine le portrait du vilain critique masqué qu’est François Simon histoire de 1) repérer le malfrat 2) le neutraliser, comprenez « doubler les courbettes ». Moi, sa pomme m’était inconnue. J’ai eu beau chercher jusqu’aux détours des routes nationales du web, rien n’y fit, je tombais à chaque fois sur son homonyme médecin un temps candidat à la mairie de Toulouse. Autant dire qu’entre le politicien de gauche et l’ex-plume acerbe du Figaro, (5 000 articles signés), la ressemblance n’est cousine qu’au 215ème degré. Au second, on a enlevé la moustache fleurie et la mine joviale façon paysan du 13h de Pérnaut pour lui trousser un visage lambda de quinqua pressé, fines lèvres, rasage complet et sourcil supérieur en désordre ordonné inclus. Un type banal si ce n’est son œil vert grisé pétri de méfiance et son enveloppe vestimentaire étoffée : pantalon velours aux plis permanents, nœud de cravate bleu nuit tacheté de violet et noué comme une écharpe. « Je parle peu, je suis sauvage » lance d’emblée celui qui reconnaît une dévorante addiction pour le McFlurry, diabolique gobelet nourri de crème glacée et de nappages pro-caloriques. Débit monocorde et maîtrisé suivi d’un regard sec qui vous fait comprendre qu’il est temps de passer à un autre débat… ou de conclure la conversation. Armé d’une centaine de questions, j’ai opté pour la première solution sans qui ces lignes n’auraient pu noircir ces pages. Sauvage ? François Simon l’est assurément. Sa démarche est féline. A l’image d’un chat, ne s’est-il pas amusé à gober des croquettes à quatre pattes (véridique), curieux de connaître cette sensation singulière ? Dégustation de pots bébé, « je ne me suis pas mis dans le ventre de ma mère », déjeuner à la cantine IKEA, oubli volontaire de son portefeuille dans les adresses les plus chics que compte Paris… : intéressé par tout et réfractaire à rien, notre animal se dévoile autour d’un Big Mac qu’il aurait pu commander. Malin, le bougre prétexta un déjeuner cent vingt minutes plus tard. Le bout de laitue coincé entre deux molaires attendra donc.

Lecteurs ou l’espèce en voie de disparition

« Il y a de moins en moins de retours des lecteurs. En même temps, ce n’est pas plus mal, ça évite de regarder sur soi et comme je n’ai aucune vie sociale, je suis assez protégé. De toute façon, je préfère les idées et les goûts des autres, ça m’enchante. Ça m’est arrivé d’avoir des gens qui m’ont parlé de mes papiers négativement, d’autres favorablement, ce qui m’embarrasse encore plus. J’ai toujours peur de m’être trompé, de n’avoir pas utilisé le mot exact. Mon vocabulaire, j’y suis attaché. »

La nature humaine me fascine mais je n’ai pas le temps de rencontrer les lecteurs, ce qui ne veut pas dire que je ne m’attache pas à eux. Disons que le peu de temps qu’il me reste, je le consacre à ma vie privée.

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Adroit passeur d’adresse

« Je m’aperçois que les gens s’attendent à ce que je paye de ma personne, que je ramène ma fraise. Je vois comment il est possible de faire quelque chose de très marketing, avec les adresses préférées de Dominique Strauss-Kahn par exemple, en reconstituant son univers gourmand. A l’exception d’un restaurant que j’avais gardé parce qu’on m’avait demandé de ne pas en parler, pacte que j’ai respecté, je donne tout. J’ai appris à ne pas faire de rétention d’informations et ce principe journalistique, je l’ai gardé pour la bouffe. Je trouve ça plaisant d’être généreux, d’être dans l’amour le plus vite possible. »

« Une année, le site My Little Paris faisait gagner des lots et le premier d’entre eux consistait à passer du temps avec moi. La lauréate était une jeune fille aux cheveux courts que je revoie encore, Camille. Elle partait en Allemagne, je lui ai donné certains titres de littérature berlinoise ainsi que mes adresses préférées là-bas. Une maison de vente aux enchères a également trouvé preneur pour un repas en tête à tête avec moi. C’était au Laurent avec un homme intéressant. J’adore écouter les autres. On s’aperçoit que l’univers des gens est fascinant, si tenté que l’on puisse en écarter les branchages. »

Profession critique

« Que pensent mes deux ados de ce que je fais ? Faut leur demander. Ils connaissent vaguement, parfois des gens leur renvoient une image, ça les amuse. J’imagine qu’ils pensent que c’est un métier spectaculaire donc artificiel. Ce n’est pas un métier normal que de voyager, d’aller d’hôtel en hôtel, de manger au restaurant. »

« A Rio, j’arrive fracassé avec le décalage horaire : j’attaque souvent deux heures après mon arrivée. J’ai rarement le temps de plonger dans la piscine. Faut taffer d’arraches pieds sinon ça ne sert à rien. Il ne faut jamais arrêter d’ouvrir ses capteurs. Vérifier, chercher, se méfier de apparences. Mon cahier doit être rempli, j’aime avoir 3 mètres de mots et d’images au-dessus de moi et quand j’ouvre les vannes,  j’ai un déluge de consommes et voyelles. Ça se voit dans les papiers quand il n’y a pas de consistance. Personne ne me croit mais je peux écrire à la vitesse à laquelle je parle. Il me faut 5 minutes pour écrire deux feuillets (3 000 caractères, ndlr). Quand j’étais localier, la nuit on revenait à deux heures du mat’, il fallait mitrailler pour raconter les faits divers. »

Le chef, en cuisine et à distance

« Ça va faire 30 ans que je fais ça : des chefs, j’en connais quelqu’un. Pierre Gagnaire, j’ai écrit un livre avec lui, je ne peux pas feindre la distance. C’est d’ailleurs utile parfois parce que ça fait gagner quelques degrés de connivence. 99% du temps, j’évite cependant de voir les chefs au restaurant, mais ça m’arrive régulièrement et c’est en général le début du malentendu… J’ai cessé la moindre critique ad hominem, je regarde ce qui sort, je me balade sur Internet, je vais jusqu’à regarder Trip Advidor pour voir si je suis bien dans le ton. »

Sous influence

« Les journaux n’ont plus tellement les moyens et les journalistes ne se battent plus vraiment pour leur franc-parler… Tout le monde est content de cette situation : le directeur du journal qui ne froisse personne, le comptable ravi que le rédacteur soit invité…  Les attachées de presse ont compris comment je fonctionnais, elles me laissent tranquille… Le chef qui s’investit dans l’image, ça m’inspire de la défiance et de la considération à la fois. Le problème c’est qu’il ne fait les choses qu’à moitié, ce qui entraîne des adresses perdues ou des équations erronées. Je préfère attendre le premier rideau très positif puis la vérité apparait. Quand les faux papiers sont passés, on voit qui reste sur le rivage. »

Saint Nazaire

« J’aime cette ville, j’y ai des attaches. C’est une ville ingrate mais je suis très fier d’être né là, elle est formidable, très prolétaire avec un passé ouvrier. C’est là où 68 a commencé. C’est une ville magnifique dans sa dimension populaire. C’était aussi une base américaine avec des GI. Quand la Franc était au twist, nous étions au rock ‘n’roll. Quand le pays vibrait pour Richard Anthony, nous étions à Elvis Presley. Il y avait un fossé colossal. Saint Nazaire possède un caractère unique, c’est une ville repoussoir et captivante. Depardieu y est né, ce n’est pas un hasard. »

Japon

« J’essaie de vivre à Tokyo et en même temps, je suis ravi d’être à Paris. Avant de rejoindre le Japon, j’ai un rituel qui débute avant le départ, en mangeant des sushis dans le 6ème arrondissement. Je mets ma montre deux jours avant. Je prépare des cadeaux, des boîtes de sel, du baron de Batz, des crayons, quelques bouteilles aussi quand j’avais ‘mon vin’, une cuvée pour adultes pour laquelle je rédigeais l’étiquette à la main en collaboration avec le bar à vins le Juvéniles. Je ne gagnais aucun sou, il n’y avait aucune idée mercantile. J’ai pratiqué la calligraphie occidentale pendant 15 ans.  Mon objectif, c’est de parler couramment japonais. Aujourd’hui, dire que je me débrouille serait un grand mot. Qu’est-ce qu’il y a en dessous de se débrouiller ? Balbutier. Pour parfaire mon niveau, il faudrait que je m’immerge. Commander au resto, c’est simple. Mais c’est quand on a faim et soif qu’on fait des pas de géant. Mon souci, c’est que j’ai un problème de mémoire : j’ai un stockage imprévisible. J’enregistre des choses comme les minutes où les footballers ont marqué quand Nantes était en D2. Le foot, j’adore ça. Le stade, pas la foule. J’y allais quand même mais j’ai souffert le martyr. »

Brasseries

« J’aime les endroits populaires et pas trop chers. Les brasseries, ce sont désormais des groupes qui fonctionnent à la marge, avec des échelles de rendement. C’est catastrophique…. La brasserie est un restaurant de proximité : je n’ai pas envie de traverser Paris le dimanche soir. C’est un endroit ouvert toute la journée avec un répertoire très prévisible. Pour moi, c’est l’archétype du mélange total : des filles qui ne mangent rien, des amis, des vieux, une variété de générations, de classes, de souches. A l’époque à la Coupole par exemple, on se retrouvait à côté de Mick Jagger, on pouvait étaler son journal, l’eau chaude était servi dans un réchaud. Jamais je n’y remettrai les pieds et je tiens cette promesse depuis 30 ans. »

Finances

« J’évite de faire de grandes tables car c’est faramineux, j’en prends même une partie pour moi… Avant de réserver dans un grand restaurant, je réfléchis à deux fois. Depuis que je ne suis plus salarié au Figaro, mon économie est plus stricte. Quand j’ai déclaré gagner 7 000 euros par mois dans un entretien à l’occasion d’un portrait, les gens étaient effrayés au journal. C’est normal : je travaille 3-4 fois plus que les autres. C’est de la rapidité d’exécution. J’évite tout rassemblement, j’ai la chance d’être en dehors des circuits »

Journaliste
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Ezéchiel Zérah
Journaliste gastronomique, Ezéchiel aime le couscous-boulettes de sa grand-mère (le meilleur bien-sûr !) et rêve de créer un guide dédié aux vieux bistrots parigots.
DA / photographe / illustratrice
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Noémie Cédille
Noémie est co-fondatrice de Mint. Elle s'occupe de sa direction artistique et de son design depuis sa création. Créative touche à tout, elle réalise également des reportages photos et des illustrations pour accompagner les articles du magazine.

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