À New York et Washington, The Wing déploie de vastes espaces de co-working rose bonbon réservé aux femmes.

Texte : Hélène Rocco
Photos : The Wing

La file d’attente composée de New-yorkaises d’une trentaine d’années déborde sur le trottoir. À l’angle de la 45e est et de la 20e rue, The Wing déploie un vaste espace de co-working rose bonbon réservé aux femmes. Celui-ci est né en 2016. Depuis, trois autres adresses ont éclos : une dans le quartier de SoHo, l’autre à Brooklyn et la dernière à Washington. Audrey Gelman et Lauren Kassan, à l’origine du projet, voulaient permettre aux membres de se rassembler dans un cocon design. Elles ont fait plus que ça et l’ont ancré dans l’histoire du féminisme.

Meilleure amie de Hannah, brillante et dégoulinante de perfection : dans Girls, le personnage de Marnie a le don d’agacer. Trop parfaite pour être vraie ? Lena Dunham a pourtant révélé que pour la créer, elle s’est inspirée de son amie d’enfance, la femme d’affaires Audrey Gelman — qui a d’ailleurs joué dans la série. Les deux jeunes femmes se sont rencontrées au lycée et tandis que l’une a pris la voie de la réalisation, l’autre s’est lancée en politique. Un temps directrice de campagne du démocrate Scott Stringer, Audrey avait l’habitude de sillonner la ville à la vitesse grand V. En 2015, alors qu’elle essayait de se changer entre deux rendez-vous dans les toilettes d’un café, elle s’est mise à rêver. Il fallait créer un lieu où les femmes pourraient se rafraîchir sans rentrer chez elles : The Wing était né.

Alors qu’elle réfléchit à ce projet, Audrey rencontre Lauren Kassan qui travaille à l’époque pour des start-ups de fitness et elles deviennent associées. Lauren souffle l’idée d’un espace où les femmes qui partagent les mêmes valeurs pourraient former une communauté. Elles s’inspirent des women clubs que l’on trouvait entre 1890 et 1920 aux États-Unis et lancent The Wing. Le principe est simple : permettre uniquement aux femmes ou aux personnes s’identifiant comme telles, de se rassembler et de créer côte-à-côte. Un an plus tard, la première adresse ouvre ses portes à Manhattan dans l’emblématique immeuble de Flatiron.

Un trône, loin de la maison

Inondé de rose pâle — le fameux millenial pink — l’espace de 300 m2 dispose de bureaux baignés d’une lumière douce pour travailler, d’une salle où prendre soin de soi, d’une autre pour tirer son lait et d’un comptoir à espressos et granolas bio. Les murs sont recouverts d’œuvres d’art, le mobilier léché est scandinave et une immense bibliothèque abrite des livres classés par couleur, écrits par et pour les femmes. Un paradis sur terre, un trône pour toutes ces travailleuses (“a throne away from home”), qui aurait été inspiré par l’esthétique de la série Mad Men — les hommes en moins.

Avant même l’ouverture, 200 femmes adhèrent au club. Recrutées dans le cercle proche des deux fondatrices, elles sont principalement entrepreneures, artistes et journalistes. Certaines payent 215 dollars par mois (environ 180 euros), d’autres échangent leur droit d’entrée contre des services. Mais il ne suffit pas de s’acquitter de cette somme : pour être acceptée, il faut aussi envoyer un lien vers ses réseaux sociaux car les fondatrices veulent savoir à qui elles ont affaire et veillent à maintenir une vraie diversité.

The Wing s’aligne sur les mêmes tarifs que ses concurrents mais se démarque avec son ambition de tisser un réseau professionnel solide. Parmi ses fidèles, on compte d’ailleurs de jeunes membres influentes comme la blogueuse mode, actrice et écrivaine Tavi Gevinson, Lena Dunham ainsi que la mannequin transgenre Hari Nef. Le point commun entre toutes ces femmes ? Elles aiment autant les produits de luxe à disposition dans la beauty room que la bonne bouffe. Surnommé “Le Perchoir”, le café propose des pâtisseries, du bouillon de poulet, des jus pressés, des cookies au beurre de cacahuète et des salades aux graines. Une cuisine fraîche, uniquement préparée par des des cheffes new-yorkaises. Le soir, les membres ont même droit aux cocktails du restaurant étoilé Momofuku Ko. Pas étonnant que la liste d’attente s’allonge : lassées des coffee-shops bruyants, les travailleuses indépendantes se tournent vers ce havre de paix.

En marche

Le lancement du projet coïncide avec la campagne présidentielle de 2016. Hillary Clinton était alors pressentie comme la future cheffe d’État. Dans l’esprit des membres, les choses sont sur le point de changer pour les femmes et elles veulent être actrices de ce progrès. La clé du succès immédiat de The Wing réside d’ailleurs dans son féminisme instagramesque : sponsorisé par Chanel mais défenseur de la diversité et solidement ancré dans le mouvement historique. Pour Audrey Gelman, le simple fait d’être une femme est politique, qu’on le veuille ou non.

Après l’élection (inattendue) de Donald Trump, plusieurs fois accusé d’agressions sexuelles et profondément sexiste, la dynamique change. Les bureaux deviennent un refuge. Aux cours d’arrangement floral et aux petits-déjeuners sur le thème des signes du zodiac s’ajoutent bientôt des ateliers sur les droits des femmes, la politique, l’anxiété et le racisme. En janvier 2017, quand a lieu la Women’s March à Washington, Lauren et Audrey affrètent des bus pour que toutes celles qui veulent participer puissent s’y rendre, coiffées de chapeaux roses.

Dans cette période trouble, les New-yorkaises tiennent à se serrer les coudes et le succès de The Wing est grandissant. La liste d’attente compte 8000 personnes quand les deux fondatrices ouvrent une deuxième adresse à SoHo, en octobre dernier. Au 5e étage du 52 Mercer street se déploie un loft trois fois plus grand que le premier. Chaque lieu a sa propre identité. Celui-ci abrite des bureaux à privatiser. Les pots de succulentes habillent la pièce, gorgée de lumière naturelle et remplie de meubles danois épurés aux couleurs vibrantes. En février 2018, une troisième adresse ouvre à Brooklyn, dans une ancienne usine de papier du quartier de Dumbo. Cette fois, le club occupe deux étages et dispose aussi d’une salle de méditation et d’un studio d’enregistrement pour produire des podcasts. Rebelote en avril avec l’inauguration d’une antenne de 1000 m2 à Washington, dans le quartier tranquille de Georgetown. Toujours plus grandes, toujours plus fortes.  

Fin 2017, l’équipe lance un magazine féministe semestriel 132 pages décliné en version numérique. No Man’s Land vise « à montrer la magie qui opère quand les femmes travaillent ensemble. » Il a aussi pour but de rendre visibles les invisibles. Les deux premiers numéros mêlent un portrait d’un mannequin intersexe, un autre de l’activiste Chelsea Manning, celui d’une girl scout vendeuse de cookies, des recettes et une plongée dans les années 1920 à Harlem, sur les traces des femmes gangsters. Une nouvelle manière de répandre l’influence du club, au-delà des simples espaces de co-working de New York et Washington.

La rançon de la gloire

Un succès qui suscite toutefois des critiques. La commission des droits humains de New York a ouvert fin 2017 une enquête très médiatisée et classée sans suite sur The Wing. Elle devait déterminer si l’entreprise avait enfreint la loi contre la discrimination en interdisant aux hommes l’adhésion et l’accès au bâtiment. Plus récemment, les fondatrices ont fait polémique en annonçant un partenariat avec Nike, un mois après les révélations du New York Times sur les conditions de travail toxiques des femmes au sein de la société.

Mais le reproche le plus courant qui est fait à The Wing est celui d’être trop élitiste. Le coût élevé de l’adhésion empêche les femmes les moins aisées d’accéder à cette communauté qui répond finalement à une demande des cercles déjà influents. Quid des coiffeuses et des esthéticiennes, elles aussi entrepreneuses mais dont le nombre d’abonnés sur Instagram est infime ? À cet argument, Audrey et Lauren rétorquent que la diversité des membres est une évidence ; il n’y a qu’à se rendre sur place pour le constater. Elles affirment que des efforts importants sont faits pour que toutes les femmes se sentent les bienvenues. Par exemple, le lancement d’un programme de bourses pour rendre l’adhésion gratuite à 100 femmes venues de domaines professionnels sous-représentés.

Les critiques ne risquent pas, pour autant, de mettre du plomb dans l’aile au projet qui ne cesse de se développer. Cet été se tiendra le premier camp No Man’s Land. Cinq cent membres pourront y participer et tisser des liens. Au programme : des ateliers créatifs, des cours de musique, des conférences, des activités en plein air et des marshmallows grillés. Ce genre de retraites dans la nature devrait se multiplier dans les années qui viennent. Et pour atteindre les femmes qui n’ont pas encore vécu l’expérience The Wing, la branche a annoncé l’ouverture de bureaux à Los Angeles, San Francisco, Seattle, Williamsburg, Londres et Toronto.

Paris ne semble pas concernée pour le moment et on se demande si la mayonnaise prendrait en dehors des pays anglo-saxons. À l’automne dernier, My Little Paris fondée en 2008 par deux sœurs a pris la température en lançant « Mona », un espace de co-working dédié aux femmes. Pendant trois mois, on pouvait suivre gratuitement des masters class inspirantes sur le monde de l’entreprise, des conférences féministes animées par Lauren Bastide et Perla Servan-Schreiber, ou des cours d’auto-défense. Rien ne dit si c’est son caractère éphémère qui a fait sa réussite ou si le concept pourrait réellement séduire les Parisiennes mais nous, on signe volontiers pour un espace de liberté où chacune pourrait s’exprimer sans crainte de réactions paternalistes.

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