Lettre au peintre Bob Ross

Le créateur de l’émission dédiée à la peinture The Joy of Painting est récemment devenu une icône de la pop culture. Découverte au travers d’un message d’une admiratrice.

Très cher Bob, 

Je pense souvent à cette nuit où je t’ai rencontré. Le thermomètre affichait 12°C, c’était le début de l’automne. Pas l’automne où les feuilles des arbres prennent des teintes orangées, pas l’automne des belles balades dans les parcs parisiens, non. L’automne de la grippe et du nez congestionné. Tu as débarqué dans ma vie sur un parterre de Kleenex usagés, alors que je peinais à trouver le sommeil. 

Ce que je considérais alors comme un remède pour me détendre s’est rapidement transformé en obsession. J’ai lu énormément de choses sur toi. Tu es né le 29 octobre 1942 en Floride. Ton père était charpentier, tu as d’ailleurs perdu une phalange en travaillant à ses côtés. À 18 ans, tu t’es engagé dans l’Air Force et tu es parti vivre en Alaska. La peinture prenait déjà une place considérable dans ta vie, tu vendais tes tableaux dans le bar où tu travaillais à mi-temps. Tu es tombé sur l’émission The Magic of Oil Painting, animée par Bill Alexander. Un peintre allemand qui t’a ensuite formé. Tu as compris que tu pouvais gagner plus d’argent en faisant ce qui te plaisait vraiment. Dans une des tes émissions, tu as même dit ô combien tu étais heureux d’avoir quitté ton poste de sergent-major : « J’étais celui qui te faisait récurer les latrines, celui qui te faisait faire ton lit, celui qui te criait dessus quand tu étais en retard au boulot. Ce travail nécessite d’être dur et méchant. J’en ai eu assez. Je me suis promis que si je réussissais à quitter cette carrière, je ne ferais plus jamais rien de similaire. » Je suis intimement convaincue que tu n’as plus jamais crié après cela ; c’était en 1981, je n’étais pas encore née. 

Tout s’est enchaîné très vite puisque ton émission a été diffusée sur PBS dès 1983, j’ai lu récemment que tu faisais ça bénévolement. Pendant douze ans, tu t’es installé face à ce grand chevalet avec ta coupe afro et ta chemise bleue, et tu as peint sans gagner un kopeck. Pourtant ce boulot, tu l’as exercé avec passion jusqu’à la fin.
200. C’est le nombre de lettres que tu recevais par jour. Des lettres de spectateurs te demandant conseil, des lettres d’encouragement… Quand tu n’avais pas le temps d’y répondre, tu leur passais un coup de fil, comme on prend des nouvelles d’un ami. Un jour, un téléspectateur t’a expliqué qu’il n’était pas capable de peindre car il était daltonien. Tu lui as consacré une de tes émissions en peignant un paysage en nuances de gris. Voilà le genre de mec que tu es. 

Ce que tu aimes peindre, ce sont les paysages. Tu as très rarement peint des portraits, ton truc c’est plutôt les montagnes entourées de « petits arbres heureux », comme tu dis, les lacs perdus dans la brume, les cabanons enneigés et les forêts bucoliques. Partout aux Etats-Unis, des clubs de peinture « Bob Ross » se sont créés grâce à toi ; pourtant, tu n’as jamais été reconnu par tes pairs, tu n’as jamais été exposé dans des musées de renom et tes oeuvres ne se sont jamais vendues ailleurs que dans de petites expos ou sur Ebay. La vérité, c’est qu’on te prenait un peu pour un plouc. Tu étais le gentil monsieur de la télé avec sa voix douce et ses phrases un peu naïves.Tu étais doux et bienveillant, tu disais : « Tout le monde peut peindre, tout ce dont on a besoin, c’est un peu de rêve dans le coeur et de l’entraînement. » Hélas, on trouvait que tes peintures ressemblaient à des fonds d’écran Windows 98.

Je ne sais pas comment j’ai pu passer tant d’années sans te connaître. Tes cours de peinture ont sur moi l’effet qu’ont les vidéos YouTube d’ASMR sur d’autres. J’ai passé des nuits à  te regarder, à t’écouter, conservant jalousement ce secret jusqu’au jour où je suis tombée sur des articles qui t’étaient dédiés dans The New Yorker, le Washington post ou même le New York Times : « Comment dormir grâce à Bob Ross », « Pourquoi les millenials sont-ils fans de Bob Ross ». C’était donc ça. Des fans de memes t’avaient ressuscité, moquant gentiment tes punchlines avec tes fameux « happy  little trees ». Des figurines à ton effigie, des puzzles et des toasters s’empilaient dans les rayons de Target. Puis les réalisateurs de Deadpool 2 ont sorti un second trailer pour leur film, qui n’est ni plus ni moins qu’un pastiche de ton émission. L’application de méditation Calm a inclus un podcast dans lequel on entend ta voix, à la demande des utilisateurs. Voilà Bob, ce n’est plus que toi et moi désormais, je dois bien me rendre à l’évidence. Tu es désormais dans les oreilles de tous ceux qui cherchent à trouver un peu de bienveillance sur une app’ de startupers.

Si je t’écris cette lettre, Bob, c’est que je crois avoir acquis la maturité nécessaire pour te partager avec les autres. Je ne garde plus jalousement ce havre de paix aux couleurs de l’automne, décoré de sapins majestueux, d’aurores boréales et de lacs glacés. Désormais, j’arrive à me réjouir pour les gens qui ne te connaissent pas encore, comme je me réjouis pour ceux qui n’ont jamais vu Le Seigneur des Anneaux. Enjoy !

Journaliste
0 article par :
Déborah Pham
Co-fondatrice de Mint et du restaurant parisien Maison Maison. Quand elle n’est pas en vadrouille, elle aime s’attabler dans ses restos préférés pour des repas interminables arrosés de vins natures. Déborah travaille actuellement sur différents projets éditoriaux et projette de consacrer ses vieux jours à la confection de fromage de chèvre à la montagne.
Illustratrice
0 article par :
Alice Méteigner
Alice publie ses dessins dans la presse (NY Times, Télérama, Feuilleton...). Son premier livre pour enfants, Max et Marcel, est paru aux Éditions MeMo et a reçu une mention spéciale aux Bolognaragazzi Awards.

L'apéro des chefs

Soirée de lancement de Mint #07

Grain(s) : la cave à manger des Becs parisiens qu'il faut tester

Le poulpe, fenouil et amandes blanches d'Ignazio Messina

Eat well, travel often

Faites de beaux rêves avec Huages à l'Hôtel de Crillon

La Chocolathèque de Jean Sulpice